Rétention : l’efficacité des éloignements est-elle liée à la durée de l’enfermement ?
Comme chaque année, les six associations qui assurent une mission d’aide à l’exercice des droits en centres de rétention administrative (CRA) ont publié le 3 juillet 2018 un rapport annuel commun qui permet de faire un état des lieux de la situation dans ces dispositifs où sont enfermés les étrangers en situation irrégulière, dans l’attente de la mise en œuvre de leur éloignement.
Les associations Assfam-Groupe SOS, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, La Cimade, Ordre de Malte France et Solidarité Mayotte font tout d’abord état dans ce rapport d’une augmentation du nombre de personnes placées en rétention en métropole : 26 400 placements environ en 2017 contre 24 000 l’année précédente (+10%). La problématique de la rétention en outre-mer est toujours aussi importante puisqu’environ 20 400 étrangers ont été placés en CRA dans ces territoires, principalement à Mayotte.
Les placements ont notamment augmenté en France métropolitaine suite à l’attentat commis à Marseille en octobre 2017 par un étranger en situation irrégulière, qui a donné lieu à des consignes de fermeté adressées aux préfectures. La moyenne de placements mensuelle est ainsi passée à près de 2 400 par mois au dernier trimestre, contre 2 000 entre janvier et septembre. Ces placements ayant souvent été opérés sans le discernement nécessaire, notamment au regard des exigences juridiques qui entourent cette mesure, les libérations par les juges ont également été plus nombreuses pendant cette période. Au dernier trimestre 2017, le taux d’éloignement a chuté de 42,1 % à 34,9 %, démontrant ainsi qu’il ne suffit pas d’enfermer plus pour éloigner davantage.
Sur l’ensemble de l’année, la situation reste d’ailleurs caractérisée par un taux d’éloignement assez faible : seulement 40% des personnes enfermées (10 114) ont fait l’objet d’un retour forcé depuis le CRA. 43 % de ces éloignements s’effectuent vers des pays de l’Union européenne (UE), notamment en application du règlement Dublin qui permet le transfert de demandeurs d’asile vers le premier pays d’entrée dans l’UE.
L’un des objectifs affichés dans le projet de loi asile-immigration en discussion actuellement au Parlement (voir notre article de newsletter de mars 2018) est d’accroitre l’efficacité de la politique d’éloignement. En ce sens, il est notamment prévu d’allonger la durée de la rétention de 45 à 90 jours. L’étude d’impact du projet de loi indique que ce doublement de la durée maximale de rétention permettrait de dépasser « la difficulté d’obtention des laissez-passer nécessaires à la réadmission des étrangers dans le pays de retour ». Une durée plus longue permettrait ainsi de d’obtenir davantage de laissez-passer consulaires.
Pourtant, seulement 7% des libérations s’expliquent par l’expiration du délai légal de rétention de 45 jours tandis que l’immense majorité des libérations (71%) sont prononcés par les juges qui constatent l’illégalité des mesures de placement ou d’éloignement. Par ailleurs, l’analyse des données les plus récentes disponibles dans ce domaine, datant de 2016 – nous indique que seulement 170 laissez-passer (soit 3% des demandes) ont été obtenus cette année-là au-delà de 45 jours. Les autres laissez-passer ont été obtenu dans le délai de 45 jours (46%), sont restées sans réponse (41%) ou ont été refusés (10%).
En 2017, 80% des éloignements depuis la rétention ont eu lieu dans les 25 premiers jours. L’allongement de la durée de rétention lors de précédentes réformes législatives n’a d’ailleurs pas permis d’augmenter le taux d’éloignement. C’est pourquoi les associations concluent dans le rapport que la mesure proposée est « inopérante et disproportionnée au regard des coûts humains et économiques qu’elle engendre, pour un résultat qui sera minime ».