La Cour de justice de l’Union européenne rappelle les obligations des Etats membres en matière d’accueil des demandeurs d’asile
Le 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne a, dans le cadre d’une question préjudicielle, interprété le droit de l’Union, en particulier la directive « accueil ». Elle a rappelé, dans une affaire concernant des demandeurs d’asile en Irlande n’ayant ni reçu d’hébergement, ni d’allocation, qu’un État membre ne peut se prévaloir d’une saturation des hébergements disponibles causé par un afflux imprévisible de demandeurs dans le but d’écarter sa responsabilité.
Le 1er août 2025, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt précisant les obligations des États membres de l’UE en matière de conditions matérielles d’accueil (CMA) pour les demandeurs de protection internationale (affaire C-97/24).
Les faits sont les suivants : S.A., qui est un ressortissant afghan, et R.J., qui est un ressortissant indien, ont tous deux présenté des demandes de protection en Irlande en 2023. Les centres d’accueil irlandais étant complets, notamment en raison de l’hébergement imprévu de nombreux déplacés d’Ukraine, ils n’ont pas disposé d’un hébergement. Faute dudit hébergement, S.A. et R.J. n’étaient pas éligibles, en vertu du droit irlandais, à l’allocation journalière de subsistance pour les demandeurs de protection internationale. Ces derniers ont donc dormi dans la rue ou des hébergements précaires pendant environ deux mois. Ils ont également indiqué ne pas toujours avoir mangé à leur faim et ne pas avoir été en mesure de préserver leur hygiène. À la suite d’un changement des conditions d’éligibilité à l’allocation de subsistance irlandaise, S.A. et R.J. se sont vu accorder avec effet rétroactif à la date de la demande de protection une allocation et, par la suite, un hébergement. S.A. et R.J. ont introduit devant les tribunaux irlandais une demande d’indemnisation du préjudice qui résulte du défaut d’hébergement, de fourniture de nourriture, d’eau et des autres CMA répondant à leurs besoins fondamentaux.
Saisie de cette affaire impliquant une question d’interprétation du droit de l’UE étant posée, la Haute Cour irlandaise (juridiction de renvoi) a été tenue de surseoir à statuer (c’est-à-dire suspendre l’affaire) et de poser une question préjudicielle à la CJUE, unique compétente sur l’interprétation de la réglementation de l’UE. La question était la suivante : le droit de l’UE doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre, qui n’a pas garanti, pendant plusieurs semaines, l’accès d’un demandeur d’asile aux CMA prévues par la directive 2013/33, dite « accueil », peut échapper à sa responsabilité en invoquant l’épuisement temporaire des capacités d’hébergement normalement disponibles en raison d’un afflux imprévisible de ressortissants de pays tiers sollicitant une protection temporaire ou internationale ?
Dans cette affaire, la violation des normes d’accueil n’est pas remise en cause. La question porte sur la possibilité pour l’État de s’exonérer de sa responsabilité liée à la violation.
La CJUE rappelle que l’article 18 de la directive « accueil » permet aux États membres, à titre exceptionnel et dans des cas dûment justifiés, de fixer des modalités de fourniture des CMA différentes de celles qui sont prévues, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque les capacités d’hébergement normalement disponibles sont temporairement épuisées. Ces CMA différentes doivent toutefois couvrir les besoins fondamentaux des personnes concernées.
La CJUE rappelle ensuite que le droit européen (voir notamment l’arrêt Saciri de 2014) s’oppose « à ce qu’un demandeur de protection internationale soit privé, ne fût-ce que temporairement, de la protection des normes minimales établies par lesdites directives ». La Cour précise ainsi que « la saturation des réseaux d’accueil des demandeurs de protection internationale ne peut pas justifier une quelconque dérogation aux normes minimales pour l’accueil de ces demandeurs ». Ainsi « [Si] cet État membre ne souhaite plus octroyer les conditions matérielles d’accueil en nature ou s’il n’est plus en mesure de le faire, il doit fournir ces conditions sous la forme d’allocations financières ou de bons d’un montant suffisant pour que les besoins fondamentaux des demandeurs de protection internationale, y compris un niveau de vie digne et adéquat pour la santé ainsi que pour assurer leur subsistance, leur soient assurés ».
Par conséquent, « le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’un État membre, qui n’a pas garanti, pendant plusieurs semaines, l’accès d’un demandeur de protection internationale aux conditions matérielles d’accueil prévues par la directive 2013/33 ne peut pas échapper à sa responsabilité (…) en invoquant l’épuisement temporaire des capacités de logement normalement disponibles sur son territoire pour les demandeurs de protection internationale, en raison d’un afflux de ressortissants de pays tiers sollicitant une protection ».
La CJUE conclut à une violation du droit de l’UE dès lors qu’il il ne ressort pas de l’affaire que l’Irlande était dans l’incapacité de fournir un logement en dehors du système normalement prévu pour héberger ces demandeurs en mettant en œuvre cette dérogation de l’article 18, soit, à défaut, de leur octroyer des allocations financières ou des bons d’un montant suffisant pour leur assurer des conditions de vie digne dès le début.
La nouvelle version de la directive « accueil » du Pacte de l’UE sur l’asile et la migration, la directive 2024/1346, reprenant, à l’article 20 cette fois, les dispositions de l’article 18 de la directive de 2013, cet arrêt sera de ce fait aussi pertinent après la date limite de transposition de la nouvelle directive en droit national (12 juin 2026), et cela pour tous les Etats membres, dont la France où le système d’asile est marqué par d’importantes défaillances en matière d’accueil (voir notre article de juin 2025).


