Rétention : la durée moyenne d’enfermement à un niveau record
Depuis 2011, les associations qui assurent une mission d’aide à l’exercice des droits auprès des personnes retenues dans les centres de rétention publient un rapport annuel commun. Celui de l’année 2024, publié le 29 avril 2025, alerte sur un enfermement « de plus en plus long », « abusif » et « inefficace », au détriment des droits et de la santé mentale des personnes retenues.
Le mardi 29 avril 2025, le rapport annuel sur les centres et locaux de rétention administrative (CRA et LRA) pour l’année 2024 a été publié par les associations intervenant en rétention (Assfam – Groupe SOS, Forum réfugiés, France terre d’asile, La Cimade, Solidarité Mayotte). Ces cinq organisations, qui assurent une mission d’information et d’aide à l’exercice effectif des droits auprès des personnes retenues, dressent dans ce rapport un état des lieux du système de rétention administrative en France.
Un centre de rétention administrative (CRA) est un lieu privatif de liberté dans lequel l’administration place des personnes étrangères afin de mettre en œuvre leur éloignement. On en dénombre 21 dans l’hexagone et 4 en Outre-mer pour un total de 1 959 places. Un local de rétention administrative (LRA) quant à lui, est un lieu d’enfermement dans lequel les personnes étrangères peuvent être placées pour une courte durée, avant un éventuel transfert dans un CRA.
En 2024, 40 592 personnes ont été enfermées en CRA, dont 16 228 en métropole et 24 364 en outre-mer, soit une baisse de 18% par rapport à 2023 sur l’ensemble des CRA. Cette différence s’explique par le contexte politique et climatique particulier qu’a connu Mayotte et l’allongement de la durée de rétention dans l’hexagone sans éloignement effectif (qui réduit le taux de rotation et donc le nombre de personnes placées). Les principaux pays d’origine des personnes enfermées en 2024 étaient l’Algérie (31,9%), la Tunisie (12,1%) et le Maroc (10,8%).
Le rapport souligne que la durée moyenne de rétention a atteint près de 33 jours en 2024, soit cinq jours de plus qu’en 2023, et trois fois plus qu’il y a sept ans. Dans certains CRA comme celui de Lyon Saint-Exupéry, elle dépasse les 40 jours. 13 % des personnes éloignées ont d’ailleurs été enfermées jusqu’à 90 jours (durée maximale autorisée depuis 2018) et 7 personnes l’ont été plus de 90 jours. Cependant, la prolongation de la rétention n’a pas pour principal effet de rendre plus effectif les éloignements (78% d’entre eux étant mis en œuvre dans les 45 premiers jours), mais elle aggrave l’impact psychologique de l’enfermement. Quatre décès ont été recensés en CRA en 2024, dont un après plusieurs jours d’hospitalisation. Les associations constatent ainsi que « cette situation augmente surtout les tensions entre les personnes retenues, ainsi que leur angoisse et leur détresse, notamment concernant les personnes particulièrement vulnérables, souffrant de maladies graves ou de troubles psychiatriques. »
Comme les années précédentes, l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) demeure le principal fondement des placements en rétention. En 2024, 16,7 % des personnes enfermées en CRA l’ont été sur la base d’une OQTF, contre 14,8 % en 2023 et seulement 4,5 % en 2019. La loi du 26 janvier 2024 a par ailleurs renforcé ce mécanisme en élargissant les cas où une OQTF peut être délivrée, en supprimant certaines protections légales qui empêchaient de prendre des OQTF et en autorisant le placement en rétention jusqu’à trois ans après l’émission d’une OQTF (contre un an auparavant). Toutefois, en raison des difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires formalisant l’accord indispensable des pays de retour pour faire entrer les personnes sur leur territoire et d’un sous-effectif administratif, l'exécution de ces mesures reste marginale. La France est l’État européen qui prononce le plus de décisions d’éloignement, mais le taux d’application demeure très faible. En effet, seulement 35% des personnes retenues en CRA ont été éloignées en 2024, majoritairement vers l’Algérie (1 124 personnes), le Maroc (562) et la Tunisie (499). Ce qui n’empêche pas l’administration de demander la prorogation des rétentions et de placer une nouvelle fois en rétention des personnes ayant déjà été enfermées sans qu’aucun éloignement n’ait pu être mis en œuvre.
Ce rapport indique aussi que la « menace à l’ordre public » continue d’être un motif de placement de plus en plus utilisé et désormais inscrit dans la loi depuis janvier 2024. Il concerne souvent des ex-prisonniers, qui représentent désormais la première population enfermée en CRA avec une durée moyenne de rétention de 41 jours. Cette notion de « menace à l’ordre public », non définie légalement, repose alors sur une appréciation discrétionnaire des préfectures, entraînant un usage détourné et sécuritaire de la rétention administrative.
Enfin, l’interdiction d’enfermement des enfants sur l’hexagone, introduite par la loi du 26 janvier, constitue une des rares avancées de 2024. Néanmoins, son application reste incomplète : 56 personnes déclarées comme mineures ont été enfermées, à défaut d’une reconnaissance de leur minorité par les préfectures. Par ailleurs, cette mesure ne s’appliquera à Mayotte qu’en 2027, laissant perdurer une pratique souvent dénoncée sur ce territoire où les enfants représentaient plus de 13 % de l’ensemble des personnes enfermées en 2024.