Lettre ouverte de plusieurs associations et opérateurs du dispositif national d'accueil à l'attention du Ministre de l'Intérieur.

 

Monsieur le Ministre,

Nos associations, opératrices de l’hébergement des demandeurs d’asile et des personnes bénéficiaires de la protection internationale ainsi que de l’hébergement généraliste et de la veille sociale, ou intervenant auprès des personnes étrangères, vous alertent sur la situation des personnes les plus vulnérables face à l’épidémie de coronavirus.

Nous avons salué la décision du Président de la République de prolonger de deux mois le plan hiver et la trêve des expulsions locatives, ainsi que la forte mobilisation des services de l’Etat dans cette période de crise. Nous insistons toutefois sur le fait que le contexte sanitaire exige que le prolongement de la trêve hivernale jusqu’au 31 mai s’applique à toutes personnes sans domicile fixe quels que soit leur situation administrative et le statut des centres qui les hébergent. Il nous paraitrait contraire aux consignes générales relatives à la gestion de cette épidémie de fragiliser des populations migrantes qui bénéficient actuellement d’un hébergement.

Des consignes visant à suspendre toute fin de prise en charge au sein des établissements du DNA ont été reçues sur différents territoires et nous les accueillons avec satisfaction. Nous vous demandons toutefois à ce que ce moratoire relatif aux fins de prise en charge dans les CADA, HUDA, CPH, et CAES pendant toute la durée de la crise sanitaire soit clairement notifié aux préfets. Aucune remise à la rue d’une personne en présence indue, bénéficiaire de la protection internationale, déboutée de sa demande d’asile ou dont la prise en charge en CAES a pris fin, ne doit avoir lieu. De la même manière, et restant sauves les dispositions relatives à la mise à l’abri des mineurs, aucune fin de prise en charge ne doit être prononcée pour les jeunes qui deviendraient majeurs ou dont la minorité n’a pas été reconnue durant ces derniers jours ou pour les jeunes majeurs en cours d’aide provisoire jeune majeur.

Nous relevons également depuis la mise en place des mesures de confinement que des personnes à la rue sont soumises à des amendes du fait de leur présence dans l’espace public. Nous avons compris que telles n’étaient pas les instructions nationales communiquées, mais nous vous demandons de donner les consignes nécessaires pour que cessent ces pratiques et de faire en sorte que ces personnes soient hébergées de toute urgence et dans de bonnes conditions sanitaires.

Nous pensons également que les plateformes de premier accueil des demandeurs d’asile dont le rôle est essentiel en matière d’accès aux droits, d’orientation des personnes vers la procédure d’asile et l’hébergement et qui sont en première ligne au contact des publics doivent disposer du matériel de protection garantissant la continuité de leur fonctionnement. L’accès aux masques, au gel hydroalcoolique et aux gants à usage unique pour les salariés et les personnes accueillies dans les centres d’hébergement, les maraudes et les plateformes est indispensable pour assurer la sécurité de tous et la continuité des services. Des plateformes ont déjà dû fermer par manque d’effectif et nous devons rapidement rassurer nos équipes.

Nous savons vos services mobilisés pour que les places disponibles au sein du dispositif national d’accueil puissent, dans la mesure du possible, assurer l’accueil de personnes en détresse, notamment des demandeurs d’asile ou des bénéficiaires de la protection internationale sans solution d’hébergement ou de logement. Nous saluons la mesure visant à geler les orientations nationales et à réattribuer les places libres pour les besoins locaux ou régionaux. Il nous parait dès lors essentiel que les besoins territoriaux priment sur les critères d’orientation administratifs tels que la procédure de demande d’asile dans laquelle est placée la personne. De plus, il est important que les enfants en attente d’évaluation sociale soient eux-aussi accueillis dans les meilleurs conditions possibles. En tout état de cause, nous vous demandons de vous assurer de l’effectivité de protocoles relatifs aux mesures sanitaires à respecter par les établissements et services du dispositif national d’accueil, en lien avec les agences régionales de santé.

Dans le contexte d’un confinement généralisé, les obligations de pointage imposées aux personnes assignées à résidence dans les lieux d’hébergement ne peuvent être respectées au regard de la situation sanitaire et des consignes de distanciation sociale transmises à l’ensemble de la population et nous demandons à ce que les mesures d’assignation à résidence soient elles-aussi suspendues.

Par ailleurs, la baisse d’activité au sein des services publics, des barreaux et des associations accompagnant les personnes étrangères dans l’accès à leurs droits aura nécessairement des conséquences importantes sur le respect des délais légaux relatifs aux dépôts de dossiers en préfecture  (titre de séjour ou demande d’asile), ainsi qu’aux recours devant la Cour nationale du droit d’asile ou autres recours administratifs, et ce malgré les efforts annoncés pour assurer la continuité de l’accueil des demandeurs d’asile. Des instructions claires de vos services sont attendues afin de suspendre les délais de recours relatifs au droit d’asile et au contentieux des étrangers, et de garantir ainsi les droits fondamentaux des personnes concernées, en particulier le droit à un recours effectif.

Les mesures de confinement nécessitent des mesures nouvelles en matière d’accès à l’hébergement et au logement des personnes en demande d’asile ou réfugiées. Face au risque épidémique dans les campements, nous considérons comme indispensable l’ouverture de nouvelles places de CADA et d’hébergement inconditionnel pour que personne ne soit contraint de vivre à la rue. Des décisions devraient être prise dans ce sens par le ministère du Logement, mais il faudrait s’assurer que le DNA bénéficie également de ces renforcements. Dans l’attente d’un accès à l’hébergement, nous demandons que les personnes vivant en campement notamment à Aubervilliers, Calais et Grande Synthe bénéficient d’un accès à l’eau, à l’aide alimentaire, à la possibilité de recharger leurs téléphones mobiles et au Wi-Fi, aux toilettes et aux mesures d’hygiène.

Nous constatons sur le terrain que les restrictions relatives à l’accès aux soins des personnes étrangères décidées en octobre dernier sont contraires aux objectifs de santé publique et totalement contreproductives en période de crise sanitaire. Nos associations réclament en conséquence l’annulation – ou a minima la suspension –  des mesures instaurant un délai de carence dans l’accès à la couverture maladie pour les demandeurs d’asile, limitant le maintien des droits pour les personnes dont le titre de séjour a expiré, et complexifiant l’accès à l’aide médicale d’Etat pour les personnes en situation irrégulière.

Plusieurs de nos associations ou de nos adhérents bénéficient de fonds européens, notamment le FAMI, dont les règles ne prévoient pas de dépenses imprévues. Or, les associations gestionnaires de ces fonds seront dans les prochains jours confrontées à la nécessité de prendre en charge des dépenses exceptionnelles, telles que le financement de communications relatives à la crise et aux consignes sanitaires ou des coûts annexes liés aux soins de santé, comme des frais de transport. Nous demandons à ce que ces dépenses puissent être validées par vos services et à ce que les exigences relatives aux obligations de mise en concurrence soient suspendues.

Enfin, nous vous demandons que soit mise en place dans les meilleurs délais une cellule de crise rassemblant la DGEF, les associations opératrices du dispositif national d’accueil et les associations accompagnant les demandeurs d’asile, bénéficiaires de la protection internationale et personnes migrantes, afin que vous puissiez nous faire parvenir les informations utiles aux personnes que nous accompagnons et au bon fonctionnement de nos associations, et que nous puissions vous faire part des difficultés et problématiques que nous rencontrerons au quotidien durant cette crise sanitaire.

Dans l’attente d’une réponse à ces propositions, les associations accompagnant les personnes étrangères, et l’ensemble des personnes en détresse sur le territoire français sont pleinement mobilisées au côté des services de l’Etat pour accompagner et protéger les personnes en difficulté des effets de l’épidémie.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre très haute considération.

 

Philippe de Botton, Président de Médecins du Monde

Cécile Coudriou, Présidente d’Amnesty International France

Christophe Deltombe, Président de la Cimade

Véronique Fayet, Présidente du Secours Catholique Caritas France

Louis Gallois, Président de la Fédération des acteurs de la solidarité

Thierry Le Roy, Président de France Terre d’Asile

Marc Noailly, Président de Forum Réfugiés-Cosi