Accord UE-Turquie sur l'accueil des réfugiés et des migrants : la ligne rouge a été franchie !
Le plan UE-Turquie approuvé à l’issue du Conseil européen des 17 et 18 mars et les premières mesures prises depuis le 20 mars justifient les inquiétudes qu’avait suscité son annonce, le 7 mars dernier.
Dans son communiqué du 16 mars, Forum réfugiés-Cosi s’alarmait des mesures annoncées, l’UE s’apprêtant « à franchir la ligne rouge de l’externalisation de l’examen du besoin de protection internationale ». C’est désormais chose faite. Par suite, la Grèce prend ses dispositions pour traiter la Turquie comme un « pays tiers sûr », ce qui lui permettra, dès le 4 avril et conformément au droit européen, de considérer les demandes d’asile introduites sur son territoire comme irrecevables et de renvoyer les demandeurs vers la Turquie.
Pour Forum réfugiés-Cosi, la Turquie ne peut être considérée comme pays tiers sûr, du fait des restrictions apportées à l’application de la Convention de Genève de 1951 et de sa législation en matière de protection internationale. En tout état de cause, la qualification de la Turquie comme « pays tiers sûr » n’exonère par la Grèce du respect des garanties minimales prévues par le droit européen de l’asile, incluant un examen individuel des demandes et un droit de recours effectif contre les décisions d’irrecevabilité. En attendant la mise en œuvre de ces procédures, toutes les personnes arrivées dans les îles grecques depuis le 20 mars sont retenues dans des centres d’accueil fermés, aux fins d’être bientôt renvoyées en Turquie.
Sur l’autre volet, l’accueil par les pays de l’UE de réfugiés réinstallés1 depuis la Turquie sur le principe dit du « un pour un » (un réfugié accueilli en Europe pour un demandeur d’asile ou migrant arrivé en Grèce depuis la Turquie), est limité aux seuls Syriens. Or, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 91% des personnes arrivant illégalement en Grèce viennent des principaux pays d’origine des réfugiés, et parmi elles plus de la moitié – dont un grand nombre d’Irakiens et d’Afghans – ne sont pas syriens. Quel sera leur sort, quand on sait qu’ils encourent de surcroît le risque d’être renvoyés dans leur pays depuis la Turquie ?
Si l’annonce le 7 mars de l’ouverture d’une voie légale et sûre d’accès à l’Europe par le moyen de la réinstallation depuis la Turquie pouvait être saluée, les modalités de sa mise en œuvre constituent un recul sévère. Ainsi, les 18 000 places restant à pourvoir dans le cadre du programme de réinstallation décidé en septembre 2015 seront utilisées pour la seule réinstallation depuis la Turquie, alors que de nombreux réfugiés parmi les plus vulnérables attendent également au Liban et en Jordanie d’être réinstallés.
Sont mobilisées de la même manière les 54 000 places dédiées à la relocalisation depuis la Grèce et l’Italie et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un engagement de la part des États dans le cadre de ce programme. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) constate déjà la réorientation des trajectoires de franchissement de la Méditerranée vers le sud de l’Italie, avec une hausse de 825 % des arrivées entre le 13 et le 20 mars 2016 par rapport à la semaine précédente. Il est donc indispensable de conserver un nombre important de places ouvertes à la relocalisation depuis l’Italie.
1 La réinstallation consiste dans l’accueil, dans un pays de refuge définitif, de réfugiés provisoirement installés dans un pays de premier accueil où elles ne peuvent rester – la plupart du temps un pays limitrophe du pays d’origine. Ce transfert se fait en collaboration étroite avec le HCR, qui fixe des objectifs de réinstallation et négocie des quotas avec les pays d’accueil.