Sur le littoral nord, un renforcement nécessaire du droit d’asile
Autour de Calais ou Dunkerque, dans le nord de la France, les étrangers qui cherchent à rejoindre le Royaume-Uni pourraient généralement bénéficier du droit d’asile en France. La faible sollicitation de ce droit fondamental s’explique par plusieurs facteurs, que les autorités devraient prendre en compte pour ne pas aborder cette situation complexe uniquement sous l’angle sécuritaire.
Depuis de nombreuses années, des personnes étrangères sont en errance sur le littoral nord de la France notamment dans la région de Calais (le Calaisis, département du Pas-de-Calais) et de Dunkerque (le Dunkerquois, département du Nord), vivant dans des conditions précaires dans l’espoir de rejoindre le Royaume-Uni.
En octobre 2024, la préfecture du Pas-de-Calais recensait plus de 1 000 personnes dans cette situation. Entre janvier et juin 2024, les autorités britanniques ont comptabilisé 13 489 arrivées par bateau (appelés « small boats ») contre 29 437 sur l’ensemble de l’année 2023 et 45 774 en 2022. Parmi elles, on retrouvait principalement des personnes originaires du Vietnam (2 248 personnes), d’Afghanistan (1 993), d’Iran (1 598), de Syrie (1 435) et du Soudan (1 053). De nombreuses personnes sont par ailleurs décédées pendant la traversée : sur les 9 premiers mois de l’année, on recensait 54 personnes mortes suite à des naufrages dans la Manche.
Au regard des profils des étrangers présent sur le littoral nord de la France, on peut s’interroger sur la faible sollicitation de l’asile par ce public : à titre d’exemple, en 2023, seules 699 premières demandes d’asile de personnes résidant dans le Pas-de-Calais avaient été enregistrées par l’OFPRA (qui ne comptabilise pas les personnes placées sous procédure Dublin) soit un ordre de grandeur équivalent à l’Indre-et-Loire, le Doubs ou encore l’Aube.
Cette situation s’explique par plusieurs facteurs, qui devraient être analysés par les pouvoirs publics pour permettre une meilleure application du droit d’asile sur ces territoires en activant les nombreux leviers en la matière.
L’un des premiers enjeux porte sur la fourniture d’une information fiable autour de la demande d’asile, une procédure complexe qui fait l’objet de nombreuses idées reçues ou mensongères (notamment véhiculées par des passeurs qui préfèrent vendre un passage vers le Royaume-Uni) : des dispositifs spécifiques en ce sens ont été mis en place par le passé par les autorités, mais ont été supprimées depuis.
Pour ceux qui souhaitent demander l’asile, plusieurs obstacles se présentent. Le préenregistrement de la demande n’est possible que dans le Nord, plus précisément à Villeneuve d’Ascq (agglomération lilloise) où se trouve la structure de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) compétente pour les personnes résidant dans le Calaisis ou le Dunkerquois. Il faut donc trouver les ressources pour se rendre dans ce lieu à plus de 100 km de Calais et 85 km de Dunkerque afin de réaliser cette étape, retourner quelques jours plus tard pour faire enregistrer la demande auprès du guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA) de Lille, et enfin revenir à nouveau régulièrement pour l’accompagnement et la domiciliation en SPADA.
Lors de l’enregistrement, une partie des demandeurs d’asile peut être placé sous procédure Dublin ce qui ne permet pas un accès effectif à leur demande de protection auprès de la France : si moins de 10% de ces procédures aboutissent à un transfert, elles ont pour conséquence de retarder de plusieurs mois voire plusieurs années l’accès à la procédure en France. La plupart des personnes ayant été identifiés dans d’autres pays européens précédemment, elles peuvent être amenées à renoncer à leur demande de protection pour ne pas être soumises à ces délais et complications.
Enfin, il est difficile d’inciter les personnes à demander la protection de la France plutôt qu’à poursuivre leur projet migratoire vers le Royaume-Uni dès lors que cela n’aura souvent aucune conséquence sur leur situation immédiate : dans un contexte de durcissement du cadre juridique et de sous dimensionnement du dispositif d’hébergement dédié (voir notre article de juillet 2024), le statut de demandeur d’asile ne permet généralement pas de sortir réellement de la précarité dans laquelle elles se trouvent.
Alors que les politiques publiques visant ces situations s’orientent souvent vers une optique uniquement sécuritaire (renforcement des dispositifs de contrôle, évacuation des campements etc.), le renforcement des dispositifs d’asile pour ces publics pourrait ainsi constituer une piste pertinente pour faire baisser les tensions sur ces territoires.
Un retour d’expérience permet d’appuyer cette idée. Lorsque les pouvoirs publics ont décidé de démanteler les campements informels autour de Calais en octobre 2016, en fournissant une information sur l’asile, en proposant à tous un hébergement accompagné (dans des « centres d’accueil et d’orientation » créés pour l’occasion dans toute la France), en s’engageant à ne pas mettre en œuvre de transfert Dublin pour les personnes évacuées au titre de cette opération, le dispositif de protection a bien fonctionné : plus de 5 000 adultes ont été évacuées dans différentes régions, seule une infime partie d’entre eux n’ont pas du tout sollicité l’asile (5% d’après les données publiées en 2017) et la majorité d’entre eux ont finalement été protégés par la France au titre de l’asile.