Marquée depuis son indépendance le 2 octobre 1958 par une répression politique et une violence électorale parfois sanglante, la Guinée vit depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 une période de transition décisive pour son avenir politique, économique et social. Les Guinéens candidats à l’exil et contraints au déplacement forcé restent nombreux, notamment en France, avec 5 286 primo-demandeurs d’asile enregistrés en préfecture en 2021 (4ème pays d’origine des demandeurs d’asile). Au regard de la prégnance de cette violence structurelle et du poids de l’armée en Guinée, cette transition politique, marquée par une volonté affichée d’une rupture et par la permanence des incertitudes, est-elle possible et réaliste ?

Le coup d’État du 5 septembre 2021 et la constitution du Comité National du Rassemblement et du Développement (CNRD) marquent en effet un nouvel épisode dans l’histoire troublée de ce pays d’Afrique de l’Ouest, considéré comme le château d’eau de la sous-région. Un pays riche en ressources naturelles (bauxite, fer, nickel, or, diamant), mais qui peine à assurer une juste redistribution des dividendes de ces ressources économiques pourtant prometteuses en termes de développement, d’accès aux services de base et de construction d’infrastructures routières. Des dividendes qui permettraient de désenclaver plusieurs des quatre régions naturelles de la Guinée, en particulier la Guinée forestière, située aux confins du pays.

À court terme, les 81 membres du Conseil national de transition (CNT), intronisés le 5 février 2022 dans leurs fonctions de « Parlementaires » en charge de la transition, doivent relever plusieurs défis de taille : refonder des institutions de l’État en raison de la dissolution d’une bonne partie d’entre elles (ne restent aujourd’hui que la Cour suprême, qui reprend les prérogatives de la Cour constitutionnelle, et la Haute Autorité de la Communication), et restaurer de l’ordre constitutionnel dans un délai raisonnable afin de gérer les impatiences croissantes face aux attentes de la société guinéenne.

Il est en effet urgent de rédiger le nouveau texte constitutionnel qui doit remplacer l’actuelle Charte de transition du 27 septembre 2021, qui demeure incomplète sur le plan de la protection des libertés individuelles et collectives, avant de préparer des prochaines élections (locales et nationales) dans un contexte de fracture sociale et ethnique qui reste très prégnant, marquée par des décennies de politiques d’ethnicisation de l’administration civile et militaire.

Sur le plan de la rédaction de la nouvelle Constitution, les membres du CNT auront l’impératif de sacraliser certains droits déjà acquis par les Constitutions précédentes (abolition de la peine de mort, interdiction des pratiques traditionnelles néfastes telles que les mutilations génitales féminines, et les mariages forcés et/ou précoces) et de consacrer de nouveaux droits (tels que l’interdiction de la traite des êtres humains). Sur le terrain, si la chape de plomb des régimes précédents semble avoir été levée en termes d’exercice de la liberté d’expression, le droit de manifester pacifiquement demeure quant à lui largement entravé par l’arsenal juridique guinéen qui criminalise les manifestations spontanées.

Sur le plan de l’organisation des prochains processus électoraux, les enjeux résident dans l’avancement de l’état civil guinéen, une grande partie de la population n’étant pas détentrice de documents d’identité, la nomination d’une Commission nationale électorale réellement indépendante qui puisse de concentrer sur son mandat technique, et la possibilité d’avoir une compétition électorale réelle avec des candidat.e.s indépendants, sans affiliation à un parti politique, ce que ne pouvait pas permettre les deux derniers textes constitutionnels.

À ces deux questions s’ajoutent celle du règlement d’un contentieux toujours épineux qui a été longtemps en filigrane de nombreux dossiers de demande d’asile guinéens en France : celui du massacre du stade du 28 septembre 2009, théâtre de plus d’une centaine de viols, et de plus de 150 exécutions sommaires. Une justice qui se fait attendre, alors que la phase de l’instruction judiciaire de « l’affaire du stade » s’est achevée fin 2017.

À moyenne échéance, d’autres enjeux cruciaux pour l’avenir politique du pays sont à traiter. Le fait de rapprocher la justice des justiciables et de rendre la justice accessible à tous reste un impératif catégorique. Les Guinéen.ne.s ont soif de justice, mais perçoivent toujours d’un mauvais œil les institutions judiciaires, vues comme le parangon de la corruption. En outre, les forces de défense et de sécurité, bras armé des dictatures et de l’oppression dans l’histoire contemporaine de la Guinée, doivent également retrouver la confiance et la crédibilité de la population guinéenne, en se montrant comme une institution intègre, ce qui passe par une réforme profonde des services de sécurité. Enfin, un développement pacifique et harmonieux de la Guinée ne pourra pas faire l’impasse sur un réel travail de fonds sur la cohésion sociale et sur la réconciliation nationale, qui implique de regarder son passé en face et d’ouvrir la page, sans complaisance, des violations du passé, via un mécanisme national de justice transitionnelle, et donc la création d’une commission spécifique.

Des chantiers politiques, économiques (en lien avec la lutte contre la corruption et la transparence des industries extractives) et sociaux sur lesquels les autorités de la transition sont attendues. Un parcours semé d’embuches pour un contexte guinéen qui peut cependant compter sur la jeunesse, sur l’engagement et la vitalité des associations de protection et de défense des droits fondamentaux.

 

Nordine Drici

Directeur du cabinet d’expertise et de conseil ND Consultance, expert droits de l’homme, projet RESPECT/Guinée, Avocats Sans Frontières France (ASF-France), formateur géopolitique pour Forum réfugiés-Cosi