De nouveaux éléments confirment les violations répétées des droits fondamentaux par l’agence Frontex
L’agence Frontex a été créée en 2004 afin d’aider les États membres de l’Union européenne (UE) et les pays associés à l’espace Schengen à protéger les frontières extérieures de l’espace de libre circulation. En 2016, l’agence a vu son mandat élargi. Outre le contrôle des migrations, elle s’est vu attribuer un rôle de gestion des frontières, de lutte contre la criminalité transfrontalière et de sauveteur maritime. À cette fin, des agents des services des États membres et des pays associés à l’espace Schengen sont à sa disposition, ainsi que des armes, des navires, des avions et des dispositifs de surveillance des frontières (propres ou appartenant aux États). En 2022, elle dispose de 754 millions d’euros, ce qui est le plus gros budget pour une agence de l’UE, en constante augmentation. L’agence aide notamment les États à coordonner les opérations de retour, mais peut également être à l’origine de celles-ci. Pour cela, elle peut affréter des avions, réserver des sièges sur des vols commerciaux et apporter soutien à l’obtention des documents de voyage requis pour les personnes faisant l’objet d’une décision de retour. De plus, elle déploie des officiers de liaison dans les pays à l’extérieur de l’UE dans le cadre d’accords de coopération.
Le règlement 2019/ 1896, relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, dispose dans son article premier que le but de Frontex est de « gérer efficacement [les] frontières dans le plein respect des droits fondamentaux ».
Malgré de nombreuses références aux droits fondamentaux dans les textes régissant son activité, plusieurs lanceurs d’alertes ont dénoncé les agissements de l’agence, ce qui a conduit au lancement d’une enquête de l’Office de lutte anti-fraude de l’UE (OLAF) et à la démission du français Fabrice Leggeri, directeur général de Frontex, en avril 2022.
Le 13 octobre 2022, le média allemand Der Spiegel a publié le rapport de 123 pages de l’OLAF. Dans ce dernier, on y apprend que plusieurs responsables, dont les noms sont cachés, ont commis des fautes graves, et que :
- La direction de Frontex a caché, à plusieurs reprises, à son propre responsable des droits fondamentaux les cas de violations possibles des droits de l’homme.
- Frontex a suspendu sa surveillance aérienne pour arrêter d’enregistrer ces violations.
- Frontex a cofinancé certaines des unités grecques qui ont refoulé des demandeurs d’asile en violation du droit international et européen.
- Frontex n’a pas mis fin aux opérations avec la Grèce, comme le dispose l’article 46 de son règlement, alors que les refoulements étaient de « nature grave ou sont susceptibles de persister ».
- Les organismes chargés de surveiller l’agence ont volontairement été induits en erreur.
Le rapport indique notamment, sur la base des entretiens avec des agents et l’analyse de conversations WhatsApp, que les garde-côtes grecs ont, en 2020, traîné un canot pneumatique avec 30 migrants à son bord vers la Turquie. Un avion de Frontex qui patrouillait a filmé la scène. Cependant, au lieu de s'adresser aux autorités grecques, Frontex a arrêté de faire patrouiller des avions au-dessus de la mer Égée, afin de « ne pas être témoin ».
Le rapport indique également qu’en 2020 les autorités maltaises n’ont pas coopéré avec Frontex dans le cadre des opérations de recherche et de sauvetage et qu’un bateau a été repoussé vers la Libye. À son arrivée à Tripoli, cinq personnes à bord étaient mortes et sept autres s’étaient noyées. Le personnel de Frontex signala l’incident, mais celui-ci a été dissimulé par leurs supérieurs.
En se basant sur le rapport de l’OLAF, plusieurs organisations non gouvernementales ont saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour violation de plusieurs normes européennes.
Le 5 octobre 2022, le Médiateur européen a ouvert une enquête sur la manière dont Frontex évalue les risques pour les droits de l’homme avant d’aider les pays tiers à développer leur capacité de surveillance, ainsi que sur la surveillance des ressortissants de pays tiers entrant dans l’UE par l’agence.
Frontex montre aussi des défaillances sur le traitement des données. En avril 2022, le Contrôleur européen de la protection des données a réprimandé l’agence pour avoir déplacé les données qu’elle traite vers un cloud sans évaluation appropriée des risques. Qui plus est, son programme de surveillance de masse des nationaux de pays tiers entrant dans l’UE (PeDRA -Processing of Personal Data for Risk Analysis) pose de nombreuses questions en termes de garantie des droits fondamentaux.
Le journal espagnol El pais a quant à lui accédé à un audit interne de l’agence démontrant des lacunes dans le recrutement et la formation des agents permanents. Il y est signalé un manque de critères permettant de déterminer si une personne est apte dans le contexte des évaluations physiques et psychologiques, ainsi qu’une absence de suivi. En outre, 41,6 % des agents déployés dans le cadre d’interventions rapides ont déclaré qu’ils n’étaient pas bien informés de leurs missions et que près d’un tiers d’entre eux n’étaient pas certains de leur rôle pendant ces missions.
Face aux fautes graves commises, le Parlement européen a refusé, le 18 octobre 2022, d’approuver les comptes 2020 de l’agence. Le Parlement justifie ce vote par le fait que l’agence aurait été impliquée dans le refoulement d’au moins 957 demandeurs d’asile entre mars 2020 et septembre 2021.
De son côté, la Commission indique, dans le rapport sur la migration et l’asile 2022, qu’elle prend « les allégations de conduites inappropriées » très sérieusement, et qu’elle procédera à une évaluation de l’agence, prévue tous les quatre ans par règlement 2019/1896 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, d’ici décembre 2023.
Des négociations sont en cours pour déployer des agents au Sénégal et en Mauritanie, donc en dehors du continent européen pour la première fois. Il préoccupant que le champ d’action de l’agence puisse s’étendre ainsi dans un contexte où une surveillance de ses agissements pourrait s’avérer difficile, avant d’avoir analysé d’éventuelles défaillances systémiques et d’avoir mis en place des mesures pour garantir le plein respect des droits fondamentaux.