Asile : comprendre et analyser les données statistiques
Combien de personnes demandent l’asile en France ? Quel est le niveau de protection accordé par les instances de l’asile ? Au premier abord, il semble assez aisé de trouver des éléments de réponse à ce type de question. Pourtant, l’analyse des données est plus complexe qu’elle n’y parait et les enjeux statistiques liés au droit d’asile sont très régulièrement mal interprétés.
Les données concernant la mise en œuvre du droit d’asile font l’objet de nombreux commentaires et sont citées régulièrement par divers acteurs du débat public (médias, élus etc.). Dans ce contexte, on constate de nombreuses imprécisions, qui entraînent parfois une analyse erronée de la situation actuelle et/ou de son évolution. Il convient donc de bien distinguer les différentes questions auxquelles les données publiques sont susceptibles d’apporter une réponse.
Demandes d'asile
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Combien de personnes demandent l’asile au cours d’une année en France ?
Pour savoir combien de personnes ont sollicité la protection de la France au cours d’une année, il faut se référer aux données du ministère de l’Intérieur sur les enregistrements de demandes d’asile par les préfectures, au sein des guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA).
Ces données sont publiées en début d’année avec des chiffres provisoires, puis en milieu d’année avec des chiffres consolidés, sur le site Internet du ministère de l’Intérieur. Elles ne sont disponibles que depuis l’année 2016, suite à la mise en place d’un nouveau système d’information (SI-Asile) fin 2015. L’analyse de l’évolution des demandes d’asile en France n’est possible que sur une courte période, ou sur une plus longue période avec les seules données de l’OFPRA qui ne concernent que les demandes d’asile relevant de la responsabilité de la France.
Pendant longtemps, la France ne transmettait pas ces données à l’agence européenne Eurostat mais se contentait de relayer les données de l’OFPRA (hors Dublin donc), ce qui avait pour effet de fausser la comparaison avec les autres pays européens. Ces statistiques ont été diffusées à Eurostat pour la première fois en 2020, et elles sont disponibles sur la base de données de l’agence qui inclut des mises à jour mensuelles.
À cela il faut ajouter certaines demandes d’asile qui ne passent pas par un enregistrement en GUDA, pour connaître l’ensemble des demandes de protection adressées à la France sur une année : les réinstallations (hors accord cadre HCR, celles-ci passant par un enregistrement GUDA) communiquées ponctuellement par les autorités françaises et disponibles sur une base de données dédiée du HCR, et les demandes d’asile formulées en rétention (donnée généralement disponible dans le rapport d’activité de l’OFPRA).
Afin d’étudier l’évolution de ces demandes d’une année sur l’autre, il faut se référer aux seules premières demandes d’asile en excluant les réexamens : ces dernières demandes sont en effet, par définition, des nouvelles demandes qui ont pu être déjà comptabilisées lors des années précédentes.
L’une des erreurs fréquemment rencontrée consiste à citer les seules données de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pour connaître le niveau de la demande d’asile ; Or celles-ci n’incluent pas les personnes placées sous procédure Dublin (inclues dans les données ministérielles à l’étape GUDA), qui sollicitent bien une protection auprès de la France mais ne voient pas leur dossier traité par l’Office tant qu’ils restent sous procédure Dublin (voir infra).
Les données du ministère de l’Intérieur permettent notamment de connaître combien de personnes ont été placées sous procédure Dublin lors d’une année donnée, et combien de personnes précédemment placées sous cette procédure ont finalement pu déposer leur demande d’asile auprès de l’OFPRA. Elles permettent également de distinguer les demandes de mineurs accompagnants, dont le dossier est lié à celui des parents.
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Sous quels types de procédure sont placés les demandeurs d’asile au cours d’une année ?
Les données du ministère de l’Intérieur évoquées précédemment (voir supra point 1) permettent de connaître les types de procédure (normale, accélérée, Dublin) appliqués aux demandeurs au moment de leur enregistrement par les préfectures. Ces publications statistiques distinguent les types de procédure au 31 décembre de l’année, ce qui ne permet pas d’avoir un aperçu précis de la situation au regard de l’application du règlement Dublin : certaines personnes ont notamment pu être placées sous procédure Dublin à un moment de l’année puis ont vu quelques mois plus tard leur demande requalifiée en procédure normale ou accélérée. Cependant, la lecture détaillée de la communication ministérielle (hors tableaux) permet de connaître le nombre de placements sous procédure Dublin au cours de l’année et pas seulement l’état des procédures au 31 décembre.
Par ailleurs, la base de données de l’agence européenne Eurostat (voir supra point 1) comporte un onglet relatif aux procédures Dublin qui permet d’analyser précisément l’application du règlement Dublin (requêtes, décisions, transferts).
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Quels est le profil des personnes qui demandent l’asile en France (nationalité, genre, âge…) ?
Les données sur l’asile publiées par le ministère de l’Intérieur (voir supra point 1) comportent un tableau des dix premiers pays d’origine des demandeurs d’asile enregistrés par les préfectures au cours d’une année. On ne dispose pas de davantage de données détaillées sur le profil des demandeurs (nationalités au-delà du top 10, répartition par âge, genre etc.). Des statistiques plus précises sont disponibles auprès de l’OFPRA (voir infra point 5) mais elles ne concernent que les demandes relevant de la responsabilité de la France (excluant donc les procédures Dublin qui n’ont pas fait l’objet de requalification ultérieure en procédure normale ou accélérée).
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Combien de demandes d’asile sont instruites par l’OFPRA au cours d’une année ?
L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) publie chaque année un rapport d’activité qui présente l’ensemble des données statistiques disponibles : nombre de demandeurs, types de procédure, détail par région et départements, etc.
Une communication de l’Office est par ailleurs proposée chaque début d’année avec quelques données partielles et non consolidées.
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Quel est le profil des demandeurs d’asile enregistrés par l’OFPRA ?
Les données de l’OFPRA (voir supra point 4), qui ne couvrent cependant pas l’ensemble des demandes de protection adressées à la France (voir supra point 1), présentent notamment des détails par genre, âge et nationalité.
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Combien de demandeurs d’asile sont actuellement en cours de procédure ?
Dans son rapport d’activité annuel, l’OFPRA indique le nombre de dossiers « en instance de traitement » à la fin de l’année auprès de l’Office.
L’agence statistique européenne Eurostat publie également des données actualisées sur les « personnes faisant l’objet de demandes d’asile en instance à la fin du mois », qui incluent l’ensemble des demandeurs d’asile (y compris ceux sous procédure Dublin, non comptabilisés par l’OFPRA).
Accueil des demandeurs d'asile
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Combien de demandeurs d’asile bénéficient des conditions matérielles d’accueil ?
Le statut de demandeur d’asile ouvre un droit à des conditions matérielles d’accueil (CMA) constituées a minima d’une allocation pour demandeurs d’asile (ADA) et, selon les besoins du demandeurs et la disponibilité des places, d’une orientation vers une place d’hébergement au sein du dispositif national d’accueil (DNA).
L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en charge de l’attribution des CMA, communique dans son rapport d’activité annuel une moyenne mensuelle du nombre de personnes et de ménages ayant bénéficié de l’ADA au cours de l’année. Sur son compte Twitter, l’OFII publie par ailleurs des indicateurs mensuels permettant de connaître le nombre de bénéficiaires à la fin de chaque mois.
Ces données ne permettent cependant pas de connaître le nombre de demandeurs d’asile ne bénéficiant pas des CMA, la loi prévoyant de nombreuses hypothèses dans lesquelles l’OFII peut les refuser, les suspendre ou les retirer. L’Office ne fournit aucune donnée dans ce domaine, empêchant une analyse précise de la situation de l’ensemble des demandeurs d’asile présents sur le territoire français en termes d’accueil. On peut cependant déduire ce chiffre en soustrayant les demandeurs d’asile touchant l’ADA à la fin d’un mois donné, à l’ensemble des demandeurs d’asile en instance à la fin de ce mois d’après Eurostat (voir supra point 6).
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Quelle part des demandeurs d’asile bénéficie d’un hébergement au sein du dispositif national d’accueil ?
Les documents budgétaires relatifs à la loi de finances (« bleu budgétaire » de la mission « Asile immigration intégration ») font apparaitre un indicateur relatif à la « part des demandeurs d’asile hébergés » mais celui-ci ne porte que sur les demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil (voir supra point 7) ayant manifesté leur volonté de disposer d’un hébergement. Il ne permet pas de connaître la part des demandeurs d’asile hébergés dans le DNA parmi l’ensemble des demandeurs d’asile en France.
Cette proportion peut être calculée en mettant en relation les indicateurs suivants (part des demandeurs d’asile hébergés = donnée b / donnée a) :
a) Nombre total de demandeurs d’asile présents sur le territoire à un instant donné
Cette statistique peut être obtenue grâce aux données Eurostat sur les « personnes faisant l’objet de demandes d’asile en instance à la fin du mois » (voir supra point 6)
b) nombre de demandeurs d’asile hébergés au sein du dispositif national d’accueil à cette même date.
Le nombre de places d’hébergement du DNA à la fin d’une année figure dans le rapport d’activité annuel de l’OFII, qui publie par ailleurs des indicateurs mensuels à ce sujet sur son compte Twitter. Il faut cependant retirer les places occupées par des hébergés qui ne sont pas demandeurs d’asile, à savoir les réfugiés et les déboutés en présence autorisée (la loi permettant leur maintien dans le lieu d’hébergement respectivement jusqu’à 6 mois et 1 mois) ou indue. On peut pour cela se référer au rapport d’activité annuel de l’OFII qui précise la « part des demandeurs d’asile » hébergés dans le DNA (excluant ainsi les réfugiés et les déboutés). Les documents budgétaires relatifs à la loi de finances (« bleu budgétaire » de la mission « Asile immigration intégration ») mentionnent la « part des places occupées par des demandeurs d’asile et autres personnes autorisées » mais cela inclut les déboutés et réfugiés pendant la période où le maintien dans l’hébergement est légalement possible.
Décisions sur l'asile
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Combien de personnes ont obtenu une protection au cours de l’année ?
Les rapports d’activité de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et de l’OFPRA (ce dernier inclut également les données CNDA) permettent de connaître le nombre de personnes protégées au terme d’une décision initiale ou suite à un recours. Une communication de l’Office est par ailleurs proposée chaque début d’année avec quelques données partielles et non consolidées.
Alors que les données des instances de l’asile ont longtemps porté sur les décisions, et non pas les personnes (une même décision pouvant protéger plusieurs personnes membres d’un même ménage), les données concernant les décisions incluent les mineurs accompagnants et concernent donc des personnes (et non simplement des dossiers).
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Quel est le taux d’accord des instances de l’asile ?
Les décisions prises au cours d’une année ne portent pas toutes sur des demandes formulées cette même année, donc il est inexact de comparer le nombre de personnes protégées au nombre de demandeurs d’asile d’une même année pour connaître le taux d’accord.
On distingue plusieurs types de taux d’accords :
a) Le taux d’accord sur décisions relatif à une instance (OFPRA ou CNDA)
Il consiste à rapporter le nombre de décisions d’accord (statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire) d’une instance (OFPRA ou CNDA) au nombre total de décisions de cette même instance. C’est le meilleur indicateur pour comparer les décisions en première instance, ou en appel, entre la France et d’autres pays européens.
b) Le taux d’accord global sur décisions (OFPRA + CNDA)
Il consiste à rapporter le nombre de décisions d’accord (statut de réfugié ou bénéfice de la protection subsidiaire) de l’OFPRA et de la CNDA au nombre de décisions de l’OFPRA (le total des décisions de la CNDA n’est pas pris en compte car l’ensemble des décisions de la Cour ont déjà fait l’objet d’une décision OFPRA préalablement).
Cette statistique indique une tendance et pas une vérité statistique, de nombreuses décisions de la CNDA lors d’une année concernant des décisions rendues par l’OFPRA au cours d’une année précédente.
c) Le taux d’accord sur demandes
Cette donnée permet de connaître la part des décisions positives pour l’ensemble des demandes déposées lors d’une année donnée. L’OFPRA précise sur sa page Internet dédiée aux statistiques (où figure ce taux) que « ceci suppose que toutes les demandes aient été instruites et aient fait l’objet d’une décision en première instance ou en appel, voire en cassation, et que toutes les voies de recours, quelles qu’elles soient, aient été épuisées » ce qui explique que l’Office « publie ces bilans à n+3 ou n+4 ». Ce caractère tardif explique que cet indicateur soit peu cité dans les débats relatifs au droit d’asile, mais il diffère parfois significativement du taux d’accord sur décisions et constitue le meilleur indicateur pour connaître le niveau de protection accordé.
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Quel est le délai moyen d’instruction d’une demande d’asile ?
Le rapport d’activité de l’OFPRA permet de connaître d’une part le délai moyen de traitement des demandes (délai entre l’enregistrement d’une demande par l’OFPRA et la décision de l’Office sur cette demande), le délai médian et l’ancienneté du stock.
La CNDA communique dans son rapport d’activité sur le délai moyen constaté (délai entre l’enregistrement des recours et la décision sur ces recours, pris en compte pour apprécier la conformité des exigences légales en la matière), et sur le délai prévisible moyen (dossiers en stock en fin d‘année rapporté aux décisions prises dans l’année).
Le délai moyen d’instruction pour l’ensemble de la procédure consiste à additionner le délai moyen de traitement de l’OFPRA et le délai moyen constaté à la CNDA.
Pour connaître la durée totale qui s’écoule entre le moment où une personne manifeste sa volonté de demander l’asile, il faut ajouter à cela
- le délai de convocation au GUDA suite à la présentation du demandeur auprès de la structure de premier accueil pour demandeurs d’asile (SPADA) compétente pour préenregistrer la demande
- le délai maximum fixé par la loi (21 jours) pour l’envoi du dossier de demande d’asile à l’OFPRA suite à l’enregistrement de la demande auprès du GUDA
- le délai d’enregistrement de la demande par l’OFPRA suite à l’envoi du dossier
- le délai maximum fixé par la loi (1 mois) pour formuler un recours à la CNDA suite au rejet de la demande par l’OFPRA
- le délai d’enregistrement du recours par la CNDA
L’ensemble des données statistiques relatives à l’exercice du droit d’asile en France, évoquées dans cet article, sont regroupées et analysées chaque année dans un état des lieux publié par Forum réfugiés-Cosi (voir l’édition 2021).