Allocation pour demandeurs d’asile : une carte de paiement problématique
Au cours de l’été, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) a annoncé que l’allocation pour demandeurs d’asile serait désormais versée sur une carte de paiement et non plus de retrait. Une évolution aux multiples impacts, tant pour ces gestionnaires que pour les bénéficiaires de cette allocation.
L’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est versée par l’OFII aux étrangers qui bénéficient d’un droit au maintien sur le territoire pendant la durée de leur procédure d’asile. Le montant, qui varie selon la composition familiale, est de 6,8 € par jour pour un adulte isolé. Un montant additionnel de 7,4 € est prévu pour les demandeurs d’asile qui ne sont pas orientés vers l’hébergement - une situation qui concerne plus de la moitié des bénéficiaires de l’ADA en raison du sous-dimensionnement du dispositif national d’accueil. En 2018, le montant global de l’ADA représentait 417 millions d’euros pour le budget de l’État, avec près de 142 000 bénéficiaires à la fin de l’année.
Les bénéficiaires de l’ADA se voient remettre une carte de retrait, sur laquelle sont versés mensuellement les montants correspondant à leur situation. Cette carte permet d’effectuer cinq retraits par mois. L’évolution envisagée consiste à transformer cette carte de retrait en une carte de paiement (ne permettant pas les achats sur Internet, ni les paiements sans contact, et limitée à 25 paiements par mois). Les demandeurs d’asile ne pourraient ainsi plus disposer d’argent liquide, toutes leurs dépenses pour l’hébergement, l’alimentation ou encore les transports devant être effectuées directement par carte bancaire auprès d’enseignes acceptant ce mode de paiement.
Cette modification s’inscrit dans le cadre de la réforme de l’asile adoptée en 2018, et est envisagée depuis de nombreux mois. La possibilité légale de verser l’ADA sur une carte de paiement et non plus seulement de retrait est en effet ouverte depuis un décret du 28 décembre 2018 pris pour l’application de certaines dispositions de la loi du 10 septembre 2018.
Plusieurs acteurs de l’asile, non consultés avant que l’OFII n’annonce fin juillet la mise en place de la nouvelle carte dès la rentrée, ont fait part de leur inquiétude concernant ce changement. Pour les demandeurs d’asile, cette mesure va à l’encontre du besoin de liquidité pour les actes de la vie quotidienne : achats au marché, boulangerie, paiement de titres de transport à l’unité, laverie, sommes symboliques demandées par certains hébergements d’urgence etc. Plus généralement, elle remet en cause la libre disposition de l’allocation pour ces personnes. Pour les gestionnaires, cette évolution n’est pas non plus sans conséquence puisque les demandeurs d’asile sont amenés à leur payer en liquide des cautions, à participer aux frais pendant l’hébergement dans certaines situations ou à rembourser des avances effectuées avant l’ouverture des droits ADA. Si la carte ADA devient uniquement une carte de paiement, cela suppose que tous les lieux soient équipés pour des paiements par carte, ce qui va entraîner des coûts imprévus.
Les impacts négatifs de cette mesure sont donc prévisibles, tandis que son intérêt demeure difficile à percevoir. Dans la presse, l’OFII a indiqué que la suppression de l’argent liquide réduirait les trafics et l’utilisation de l’allocation à des fins différentes de celles qui fondent son existence. L’Office a cependant écarté lui-même cet argument en précisant sur les réseaux sociaux que les demandeurs d’asile pourraient toujours retirer de l’argent liquide grâce aux dispositifs de cash back (nettement moins répandus cependant que les distributeurs automatiques de billet). Il a également été mentionné que cela permettrait aux demandeurs d’utiliser l’ensemble du montant de l’ADA, les petites sommes ne pouvant actuellement être retirées aux distributeurs : en 2018, ces sommes non retirées par les demandeurs ont représenté 6,7 millions d’euros (réaffectés au financement de l’allocation). Enfin, il est souvent fait état d’expériences similaires positives (notamment en Guyane), sans pour autant que l’impact sur les demandeurs d’asile ne soit documenté.
Bien qu’aucun élément public n’ait été communiqué en ce sens, il semble que la raison d’être de cette évolution soit principalement budgétaire. Les frais de gestion de l’allocation représentaient 4,7 millions d’euros en 2018, et une partie de cette somme – non connue - serait constituée par les frais des opérations de retrait qui incombent à l’OFII. En l’absence de données précises, le gain pour les finances publiques d’une carte qui ne permettrait que les paiements demeure cependant inconnu.
Suite à une réunion avec les principaux opérateurs de l’asile début août, l’OFII a annoncé un report de la mesure au 5 novembre 2019, « afin de donner un délai supplémentaire aux opérateurs (…) pour qu'ils puissent équiper toutes leurs structures en terminaux de paiement ». Un report nécessaire pour une bonne mise en œuvre de la mesure dans les lieux d’hébergement, qui ne répondra cependant pas aux inquiétudes sur l’impact de cette mesure pour les demandeurs d’asile.