Demandes d’asile fondées sur l’orientation sexuelle : la difficulté de la preuve
Les personnes persécutées dans leur pays d’origine en raison de leur orientation sexuelle peuvent prétendre à une protection au titre de l’asile. L’appréciation de la crédibilité du récit demeure cependant un défi important pour les instances de l’asile. Pour les demandeurs d’asile, la nécessité d’apporter des preuves s’avère particulièrement complexe. Une étude publiée récemment a analysé les pratiques françaises autour de ces enjeux.
Dans certains pays, le fait d’être homosexuel, bisexuel ou transgenre constitue une infraction pouvant mener à des sanctions prévues dans le droit national. Cela peut également entraîner des persécutions de la part de différents acteurs, auxquelles les autorités participent directement ou n’apportent aucune réponse. Aussi, des personnes victimes de ces situations sont amenées à chercher une protection au titre de l’asile auprès d’autres États.
La Convention de Genève relative au statut de réfugié de 1951 ne prévoit pas explicitement ce cas de figure, mais cite « l’appartenance à un certain groupe social » comme l’un des motifs de persécution permettant d’obtenir le statut de réfugié. En France, la jurisprudence a permis de protéger des personnes sur ce motif à partir de 1998. Dans son rapport d’activité 2018, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) indiquait que les demandes fondées sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle émanaient principalement de ressortissants du « Sénégal, de Gambie, du Cameroun, du Nigéria, de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Kenya ou encore du Maghreb (Algérie et, dans une moindre mesure, Maroc et Tunisie) », avec également des demandes émanant de personnes originaires d’autres continents (Pakistanais, Bangladais, Iraniens, Géorgiens, Albanais, Kosovars…).
Pour l’instruction de ces dossiers, les instances de l’asile (OFPRA et Cour nationale du droit d’asile en cas de recours) sont confrontées à une difficulté particulière : comment établir la véracité de la situation invoquée par la personne ? En d’autres termes, pour ces instances comme pour les demandeurs d’asile : comment prouver l’intime ? C’est à cette question qu’a cherché à répondre une étude intitulée « La preuve dans les demandes d’asile en raison de l’orientation sexuelle », menée par des chercheurs issus de différentes disciplines avec le soutien du Défenseur des droits qui a publié une synthèse de cette recherche le 20 mai 2020.
Il est tout d’abord souligné que la réalité des persécutions ou des craintes de persécutions envers les homosexuels n’est pas l’élément clé de l’instruction, celles-ci étant assez largement documentées dans de nombreux pays. Il s’agit avant tout de déterminer « la véracité de l’homosexualité ou de la transidentité des requérants », qui « devient ainsi une question centrale ».
Les personnes peuvent avoir des difficultés exprimer leur homosexualité « dans un contexte de persécution sociale et de répression religieuse » et voir ainsi leur récit être jugé incohérent. Les preuves écrites émanant d’institutions officielles, par exemple des condamnations pénales, sont rares et peu exploitées quand elles existent car le débat sur leur authenticité occupe alors une place trop importante dans l’instruction au détriment d’une étude plus large des persécutions subies. En revanche, les avocats sont unanimes quant à l’importance des attestations d’associations LGBTI des pays d’origine, qui constituent souvent « des éléments de preuve forte et tangible ». L’étude souligne par ailleurs qu’une déclaration tardive de l’homosexualité dans la demande d’asile est susceptible d’entacher sa crédibilité, bien que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ait indiqué dans une décision du 2 décembre 2014 que le seul fait que le demandeur d’asile n’ait pas d’emblée déclaré son homosexualité ne peut pas entraîner la conclusion que sa requête n’est pas crédible.
Par ailleurs, il est souligné que les instances de l’asile n’accordent des protections dans ces situations, sauf quelques rares exceptions, seulement dès lors que le demandeur s’est « auto-déterminé » comme homosexuel et que son orientation sexuelle a pu être prouvée. La CJUE, comme le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont pourtant rappelé que la preuve de l’orientation sexuelle ne devait être le seul et unique critère d’évaluation, la Cour indiquant à ce sujet que « même lorsqu’un demandeur d’asile invoque la crainte de persécution pour des motifs liés à son orientation sexuelle, il n’est pas toujours nécessaire d’établir sa véritable orientation sexuelle » pour le protéger.
Pour les auteurs de l’étude, les instructions font apparaître une vision occidentalisée de l’orientation sexuelle qui porte le « risque d’un décalage culturel dans l’appréciation de la preuve de l’intime ». Il est toutefois précisé que les instances françaises de l’asile refusent les photos ou vidéos intimes, et les tests psychologiques : elles semblent ainsi avoir intégré l’interdiction établie par la CJUE d’exiger certaines preuves considérées comme contraires au respect de la vie privée et de la dignité humaine.
En conclusion il est recommandé de garantir une formation adéquate sur les questions LGBTI dans une perspective interculturelle pour tous les agents de l’asile, de renforcer l’obligation de coopération vis-à-vis du requérant pendant l’instruction, de favoriser d’autres mesures d’instruction dans le procès administratif (expertise, consultation de tiers à l’instance, audition de témoins, etc.) ou encore de procéder à une actualisation plus régulière des informations relatives à la situation juridique et sociale des pays d’origine.