Après 15 ans au pouvoir, la Première ministre Sheikh Hasina a quitté précipitamment le pays suite à un soulèvement étudiant et populaire. Un changement politique attendu, qui ouvre d’importants chantiers pour envisager un avenir meilleur pour les habitants du pays.

« Go, Cheikh Hasina, Go » ! Il aurait été inimaginable il y a encore quelques semaines d’entendre ce slogan au Bangladesh, un pays autoritaire tenu par une main de fer par l’ex- Première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 2009. Il aura fallu quatre processus électoraux truqués que son parti, la Ligue Awami, a remporté, une prévalence très forte de la corruption (durniti en langue bengali), une justice inféodée au pouvoir politique, et un pays dans lesquelles les « trappes à vulnérabilités » sont multiples (économiques, sociales et climatiques) pour que le régime tombe comme un château de cartes. Le lundi 5 août 2024 au matin, Cheikh Hasina fuyait précipitamment son palais avec un hélicoptère de l’armée vers l’Inde voisine avant que sa demeure ne soit saccagée par des dizaines de milliers de manifestant.e.s. Il aura fallu plus de 500 morts, des milliers de personnes blessées, arrêtées, et un nombre inconnu d’exécutions sommaires et de disparitions forcées pour que les manifestations de la jeunesse, prenant pour appui la question de l’attribution inique des quotas dans la fonction publique, aient raison de ce pouvoir hégémonique qui a régné sans partage.

Fille du leader de l’indépendance du Bangladesh Sheikh Mujib ur-Rahman, Sheikh Hasina a été victime de sa propre cécité et de sa surdité face aux demandes croissantes de justice sociale, économique et pénale des manifestant.e.s, et face à pouvoir qui, dans la gestion de la crise de juillet 2024, n’a fait que recourir à différents types de violences : violences physiques par la mobilisation des services de police et de sécurité et l’usage excessif et disproportionné de la force, violences par l’isolement du peuple bangladais en le privant d’accès internet durant plusieurs jours, et violences verbales symboliques dans ses derniers discours, en affublant les manifestant.e.s e de qualificatifs tels que « terroristes » ou « traitres à la Nation » (razakar en bengali).  

Ce soulèvement étudiant et populaire sonne le glas d’un régime quasi-totalitaire, qui a touché au plus profond de l’âme bangladaise : le respect de dignité humaine, bafoué par le régime de la Première ministre et tout l’appareil d’État, à tous les niveaux et sur tout le territoire.

Premiers signes positifs de la transition politique coordonnée par l’armée bangladaise, le choix d’une figure emblématique pour guider l’avenir du pays, à la demande du soulèvement étudiant, le Dr. Mohammad Yunus (qui était lui-même la cible de l’ancien pouvoir), et la nomination d’un gouvernement inclusif, avec davantage de femmes nommées à des postes de Conseillers -équivalent à un poste ministériel-, des membres de la société civile et des peuples autochtones du Bangladesh.


La nomination de ce gouvernement inclusif constitue donc un signe fort tant à l’intérieur du Bangladesh qu’à l’extérieur du pays, mais plusieurs incertitudes majeures persistent. Outre l’urgence de poursuivre le développement du pays, de réduire la vulnérabilité de ce dernier face au changement climatique, et de mener le Bangladesh vers un processus électoral libre et intègre, l’un des premiers chantiers réside dans la refondation de la société bangladaise autour du « savoir-vivre ensemble » après un régime qui a instrumentalisé les fractures de la société bangladaise à des fins politiques.

Le second chantier à moyen-terme du gouvernement intérimaire bangladais se concentre sur la refondation du rapport entre les citoyens, les services de police et de sécurité, et de la justice. La chaîne pénale a été l’un des instruments du pouvoir politique qui a favorisé, graduellement, la mise en place d’une véritable loi d’airain. Ce chantier nécessiterait une réforme des systèmes de sécurité, incluant des vérifications en termes de probité et de professionnalisme comme préalable à l’emploi des policiers, des magistrats et des agents pénitentiaires, et de garantie de mécanismes de contrôle interne jouissant d’une véritable indépendance.

La question mémorielle et la réforme des systèmes de sécurité n’ont jamais été véritablement traitées jusqu’à présent au Bangladesh. Il en va pourtant de la stabilité du pays et de la fin de la spirale de violences qui transcende l’histoire du Bangladesh depuis sa création en 1971. Le gouvernement intérimaire du Dr. Mohammad Yunus n’a d’autre choix que de réussir dans cette entreprise. Une réussite qui sera également fonction de la volonté de la société bangladaise de se montrer unie, solidaire, en dépassant les clivages sociaux et les pratiques clientélistes.

Article rédigé par Nordine Drici, directeur du cabinet d’expertise ND Consultance, formateur géopolitique pour Forum Réfugiés et co-auteur de l’ouvrage « Bangladesh. Démocratie en trompe-l’œil, faillite de l’État de droit et dérives totalitaires » (janvier 2019, Ed. PRDH).