Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), 11 939  nouvelles demandes d’asile ont été déposées entre janvier et novembre 2021, et plus de 20 000 demandes d’asile sont en attente de décision. Depuis le début 2022, déjà 700 personnes sont arrivées sur l’île. Cette augmentation des arrivées était déjà soulignée en 2019 (article de septembre 2019 de Forum réfugiés-Cosi) où les demandes d’asile ont progressivement augmenté depuis 2016 avec 2 840 primo-demandeurs, puis 4 475 en 2017, 7 610 en 2018, 12 695 en 2019, et 7 065 en 2020 (données Eurostat). Si ces chiffres représentent une part réduite du nombre de primo-demandeurs enregistrés au niveau de l’Union européenne (UE), cet État membre reste le premier pays d’accueil lorsque l’on rapporte ces chiffres à sa population nationale d’un million d’habitants (8 446 primo-demandeurs par million d’habitants en 2020, contre 1 215 pour la France). 

Le centre d’accueil de Pournara se retrouve surpeuplé avec 2 300 personnes accueillies pour une capacité de 1 000 personnes alors que le centre était initialement prévu pour un premier accueil de 72 heures. Passage obligé pour tous les demandeurs d’asile nouvellement arrivés, il fonctionne à présent comme un centre de longue durée faute de capacités d’accueil dans le centre d’accueil de Kofinou dans la région de Larnaca. Des centaines de personnes restent sans abris dans les rues chypriotes, les exposant à des risques de violence et d’exploitation. Face à la dégradation des conditions d’accueil, le HCR alerte sur la nécessité de développer « une gestion globale du système d’asile conformément aux lois et normes internationales pour mettre en œuvre des procédures d'asile rapides et équitables ». Présente dans le camp pour soutenir les autorités et apporter un soutien direct auprès des personnes, l’agence onusienne travaille à l’amélioration des infrastructures afin d'accroître l'efficacité et la rapidité du traitement des demandeurs d'asile dans le camp. Des abris préfabriqués et des tentes ont été mis en place pour pallier au manque de places, sans pour autant garantir un accès à l’électricité ni à des installations d’hygiène appropriées. L’agence onusienne souligne en particulier la grande vulnérabilité de mineurs non accompagnés. La zone sécurisée dédiée à ce public est trop petite pour répondre aux besoins actuels, avec 80 places pour 280 mineurs. Les capacités limitées en matière d’aide juridique et de tutelle entraînent des retards conséquents dans la gestion des dossiers et la recherche de solutions durables en dehors du camp. Le chef du bureau de la Commission européenne à Chypre a également appelé à renforcer les politiques et les programmes d’intégration afin de prévenir les conflits locaux et de développer la cohésion sociale. Les tensions sont en effet importantes au niveau local avec des manifestations violentes.

La situation inquiète au plus haut niveau aux Nations unies où le Secrétaire général, Antonio Guterres, a alerté sur la situation des demandeurs et des réfugiés sur l’île et l’accès restreint à la procédure d’asile dans un rapport présenté au Conseil de sécurité. Cette situation s’intègre dans un contexte régional complexe où l’île est divisée en deux, entre le nord sous occupation turque et le sud sous administration européenne. Les autorités chypriotes continuent d’accuser la Turquie de faciliter la traversée de « la ligne verte » qui démarque les deux zones, alors que le rapport alerte également sur les pratiques de refoulement par les autorités chypriotes en mer et aux points de passages frontaliers officiels de la République de Chypre. Les autorités chypriotes ont en effet été interpellées à plusieurs reprises par des organisations internationales et des associations sur les allégations de refoulement et de mauvais traitements de migrants. En mars 2021, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a adressé un courrier au ministre de l’Intérieur lui demandant instamment de veiller à ce que des enquêtes indépendantes et effectives soient menées sur ces allégations.

Les autorités nationales ont annoncé le 10 novembre avoir demandé à la Commission européenne de pouvoir suspendre les procédures d’asile pour les personnes arrivant de manière irrégulière sur le territoire. Le porte-parole du gouvernement a également souligné que la hausse des arrivées migratoires depuis la « ligne verte » était une « politique claire d’instrumentalisation de la souffrance humaine par la Turquie » faisant écho à la situation aux frontières extérieures avec la Biélorussie accusée également d’instrumentalisation des migrants à des fins politiques. Le gouvernement chypriote a également appelé les autres États membres à le soutenir dans l’accueil des demandeurs d’asile. Il souhaite aussi faciliter l’éloignement des personnes déboutées de leur demande d’asile afin de réduire la surpopulation dans les camps et réduire les situations de violences. Des procédures standards opérationnelles ont été établies entre Chypre, l’UE et l’agence européenne Frontex pour aider les autorités nationales dans l’éloignement des déboutés. Ces procédures devraient s’appliquer aux retours forcés et volontaires durant les prochains mois afin d’identifier et de résoudre les différents obstacles à l’éloignement, en matière par exemple de vérification des identités auprès des instances consulaires, d’obtention des laissez-passer et d’appui logistique. Déjà présent sur l’île en 2021, Frontex a réaffirmé son soutien auprès des autorités chypriotes avec la visite du directeur exécutif Fabrice Leggeri en février 2022. Le renforcement du soutien de l’UE s’est également matérialisé avec la signature d’un protocole d’accord (« memorandum of understanding ») et d’un plan d’action détaillé pour soutenir et renforcer la gestion des migrations à Chypre. Soutenu par les agences européennes (Frontex, Europol, Agence européenne pour l’asile), le plan d’action s’inspire du projet pilote de Lesvos en Grèce. Les objectifs spécifiques comprennent le renforcement des capacités de premier accueil, l’amélioration du niveau des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, le soutien aux procédures d'asile et de retour rapides et efficaces et l’établissement et la mise en œuvre d’une stratégie d'intégration.