Selon l’office statistique de l’Union européenne (UE) Eurostat, le nombre de demandes d’asile est en augmentation depuis plusieurs années à Chypre, passant de 2 840  primo-demandeurs d’asile en 2016, à 4 475 en 2017 et 7 610 en 2018. Ces chiffres peuvent paraître minimes et ne représentent en effet que 1,3% des premières demandes d’asile en Union européenne en 2018. Cependant, rapportés à la population nationale de 800 000 habitants, Chypre est le premier pays d’accueil dans l’UE avec 8 805 primo-demandeur d’asile par million d’habitants en 2018. La moyenne européenne était cette année-là de 1 133 demandeurs d’asile par million d’habitant en 2018, ce ratio pour la France étant de 1 644 demandeurs par million d’habitant.

Cette augmentation des arrivées et du nombre de premières demandes d’asile déposées dans le pays se confirme depuis le début de l’année 2019 avec déjà 4 180 primo-demandeurs d’asile enregistrés entre janvier et avril 2019. Les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont la Syrie, l’Inde, le Bangladesh, le Pakistan, le Cameroun, le Vietnam et l’Egypte. Selon le ministère de l’Intérieur chypriote, le nombre d’arrivées de personnes originaires d’Afrique sub-saharienne est en forte augmentation notamment le Cameroun, le Nigéria et la République Démocratique du Congo.

Selon le HCR, suite à la dégradation de l’accueil dans les pays voisins de la Syrie, plusieurs bateaux transportant des Syriens sont arrivés du Liban. Des arrivées non sans risque puisque 64 réfugiés et migrants seraient morts en 2018 suite à quatre naufrages entre la Turquie ou le Liban et Chypre. En outre, la particularité de cette île tient également à sa division entre le nord sous occupation turque et le sud sous administration européenne. Selon le rapport AIDA sur Chypre, la moitié des demandeurs d’asile arrivent par le nord de l’île en traversant la « ligne verte » séparant les deux parties de l’île de manière irrégulière par les réseaux de passeurs. Un autre facteur d’arrivées à Chypre est la limitation du droit à la réunification familiale pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire qui n’ont plus accès à la procédure depuis 2014, et est accordé pour des cas exceptionnels sur motifs humanitaires. Ainsi, les membres de familles tentent de rejoindre leurs proches de manière illégale.

Les capacités d’accueil très limitées dans le pays ont amené de nombreux demandeurs d’asile à se retrouver sans hébergement. Les nouveaux demandeurs sont accueillis dans le centre d’hébergement d’urgence à Kokkinotrimithia pendant 72 heures pour assurer l’enregistrement et les besoins d’urgence. Après ce délai, les demandeurs d’asile doivent trouver un logement dans le secteur privé, où les loyers sont chers et la demande importante pour un nombre limité de biens. Le logement de demandeurs d’asile dans le secteur privé  n’est soumis à aucune régulation ou standards ouvrant la porte aux abus et aux conditions de vie déplorables. En mai 2018, le HCR et les associations locales ont lancé un appel commun alertant sur l’absence d’hébergement pour les demandeurs d’asile. Le pays ne compte qu’un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile en place à Kofinou comportant 400 places et qui héberge en priorité des familles et des femmes isolées. Les conditions d’accueil y sont régulièrement mis en cause depuis 2018, y compris par le Commissaire chypriote aux droits de l’Homme et le HCR Chypre. Si les demandeurs d’asile ont le droit de travailler durant leur procédure, cela est limité à certains secteurs d’activité tels que l’agriculture, la pêche, la gestion des déchets, ou l’hôtellerie sur des postes restreints peu qualifiés.

Ces conditions d’accueil extrêmement limitées impactent gravement la situation de vulnérabilité des demandeurs d’asile. Des cas d’exploitation et de travail forcé sont répandus à travers le pays. Récemment le bureau du HCR à Chypre a alerté sur les cas de disparitions de femmes réfugiées et demandeuses d’asile mettant en lumière les carences graves du système d’asile et de protection dans le pays, mais aussi des politiques d’intégration en particulier pour les personnes vulnérables. Bien que la durée d’examen de la demande d’asile en première instance soit limitée légalement à 6 mois, en pratique la durée moyenne est de 2 à 3 ans. Certains demandeurs d’asile peuvent attendre jusqu’à 4 ans pour recevoir une réponse à leur demande. Selon Eurostat, le nombre de demandes en instance s’élève à 10 180 à la fin de l’année 2018 contre 5 120 fin 2017.

Chypre en appelle donc au soutien de l’UE pour l’appuyer dans cette hausse des arrivées. En 2014, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) et Chypre ont signé un Plan spécial de soutien incluant la formation des équipes, le renforcement des conditions d’accueil, un appui dans les procédures d’évaluation de la minorité et des personnes vulnérables, et la collecte de données.  En 2018, l’EASO a déployé 49 experts sur le pays afin de soutenir le service national de l’asile rattaché au ministère de l’Intérieur, et afin d’appuyer le recrutement de nouveaux agents pour examiner les demandes d’asile. Le 20 décembre 2018, la Commission européenne a annoncé le déblocage de 3,1 millions d’euros pour que Chypre renforce sa capacité d’accueil et pour transformer le centre d’accueil d’urgence de Kokkinotrimithia en un centre de premier accueil à part entière incluant l’examen médical, l’enregistrement, le relevé d’empreintes digitales, le filtrage, la fourniture d’informations et la possibilité de présenter une demande d’asile. Cette aide s’ajoute au soutien financier accordé par l’UE de 40 millions d’euros entre 2014 et 2020 alloués à la gestion des migrations. Au début du mois d’août 2019, Chypre a adressé une demande à la Commission européenne pour relocaliser 5 000 demandeurs d’asile dans d’autres États membres de l’UE.

En outre, la réforme actuelle du régime d’asile européen commun est également au cœur des préoccupations de Chypre, particulièrement en ce qui concerne le règlement Dublin. Dans un document commun de mai 2018, Chypre, la Grèce, l’Italie, Malte et l’Espagne ont exprimé leur position commune sur la refonte de ce règlement, objet de discorde depuis plus de trois ans.