L’accueil de réfugiés russes en Europe, un autre défi de la guerre en Ukraine
Depuis le 24 février 2022, l’Union européenne a accueilli plus de 4 millions de réfugiés d’Ukraine bénéficiant du mécanisme de protection temporaire. Cette guerre a aussi poussé des Russes à s’exiler vers l’Europe, questionnant les modalités de protection pour ces personnes au sein des États membres.
Le 21 septembre 2022, Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation de 300 000 hommes âgés de 18 à 65 ans dans le but de renforcer les effectifs de l’armée russe, ce qui a immédiatement eu un effet sur les demandes d’asile dans les pays de l’ex-Union soviétique et de l’Union européenne (UE).
En octobre 2022 d’après l’agence européenne Eurostat, 1 965 premières demandes d’asile de ressortissants russes ont été enregistrées dans l’UE contre 1 310 en septembre et environ 900 par mois auparavant. Loin derrière les demandes de Syriens (18 420) et Afghans (13 695) pour ce même mois, ce chiffre est cependant le plus haut depuis plusieurs années. En France, 1 155 premières demandes d’asile russes ont été enregistrées en préfecture sur les trois derniers mois de l’année 2022 alors que les autorités françaises n’avaient comptabilisé que 970 demandes sur l’ensemble de l’année 2021 - avec cependant des niveaux autour de 3 à 4 000 demandes annuelles à quelques reprises sur la dernière décennie.
La question de l’accueil des demandeurs d’asile russes alimente donc les débats au sein des États membres de l’UE. Certains d’entre eux se sont rapidement opposés à leur accueil. Parmi eux, la Pologne et les pays baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie) ont fermé leurs frontières aux Russes, même avec visas, le 19 septembre 2022 (avant la mobilisation). La Finlande, qui partage également une frontière avec la Russie, l’a aussi fermée, le 29 septembre 2022. De plus, le pays va commencer la construction d’une clôture de 200 kilomètres en mars 2023 (craignant également l’instrumentalisation de migrants par le Kremlin, tout comme la Pologne, qui a déjà commencé la construction d’une barrière avec l’enclave de Kaliningrad).
Le 9 septembre 2022, le Conseil de l’UE a décidé d’une suspension totale de l'accord avec la Russie visant à faciliter la délivrance de visas, ce qui alourdit les démarches pour les Russes, mais n’interdit pas l’octroi de visas. Le 30 septembre 2022, la Commission a publié des lignes directrices dans lesquelles il est recommandé de « délivrer des visas Schengen de manière restrictive et coordonnée », et de réaliser « un examen plus rigoureux des documents de voyage (…) compte tenu des risques accrus pour la sécurité auxquels l'UE est confrontée ». Le 25 octobre 2022, ce fut au tour de la République Tchèque de refuser les visas de ressortissants russes.
Néanmoins, Yvla Johansson, commissaire aux Affaires intérieures, a ajouté que « l’Europe ne fermera pas sa porte à ceux qui ont réellement besoin de protection ». Le droit européen et international relatif à l’asile impose en tout état de cause aux autorités nationales d’examiner les craintes en cas de retour de toute personne qui demande une protection à la frontière.
À ces difficultés d’accès au territoire européen, s’ajoutent parfois des obstacles pour obtenir l’asile dans certains États. Le ministre lituanien des Affaires étrangères a par exemple annoncé le 23 septembre 2022 que son pays « n’accordera pas l’asile à ceux qui ont fui leurs responsabilités ». La Première ministre estonienne a également indiqué, à la même date, que son pays n’était « pas un havre pour les réfugiés de convenance d’un État agresseur ». Au contraire, la Grèce, Chypre, l’Allemagne, l’Irlande ou encore Charles Michel, président du Conseil européen, se sont montrés plutôt favorable à leur accueil. Côté français, la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a déclaré le 27 septembre 2022 que les demandes russes seraient examinées au cas par cas, ce qui est une approche conforme au cadre juridique en vigueur.
Malgré l’absence de positions communes concernant l’octroi d’une protection aux exilés russes, de nombreuses personnes devraient bénéficier d’une protection conformément au droit européen qui s’impose dans chaque État membre et qui découle en partie des engagements internationaux issus de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.
Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) indique notamment dans son manuel sur les procédures et les critères pour déterminer le statut de réfugié que doit être reconnu comme réfugié celui qui risque une peine pour désertion lorsque le type d’action militaire, à laquelle il refuse de participer, est condamné par la communauté internationale (§171). La manifestation d’une opposition au conflit ou les liens réels ou supposés avec l’Ukraine (origine familiale, mariages mixtes…) peuvent être considérés plus généralement comme des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié dès lors qu’ils entraînent des persécutions par les autorités russes, tandis que d’autres situations pourraient relever de la protection subsidiaire. Les Russes pourraient cependant relever de clauses d’exclusion, justifiant un rejet de leur demande d’asile, s’il est avéré qu’ils ont participé à des crimes ou exactions dans le cadre du conflit.
Pour ceux qui n’obtiendraient pas l’asile, la question du retour pourrait également s’avérer complexe. L'ancien président russe, Dmitri Medvedev, a ainsi proposé que ceux qui ont récemment quitté la Russie, c’est-à-dire les « ennemis », soient interdits de territoire, ce qui n’est pas sans rappeler les personnes devenues apatrides suite à un décret soviétique de 1921 révoquant la nationalité de tous ceux ayant fui la révolution bolchevique et les famines. Cet épisode de l’histoire donna d’ailleurs naissance au passeport Nansen, permettant aux réfugiés apatrides de voyager.