Règlement sur l’ « instrumentalisation » dans le domaine de la migration et de l’asile : un recul des droits évité
La présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne espérait adopter un règlement visant à faire face aux situations d’ « instrumentalisation » dans le domaine de la migration et de l’asile avant le changement de présidence fin décembre 2022. Cependant, la proposition, qui portait des dérogations inquiétante au droit d’asile, n’a pas trouvé de majorité lors du Conseil du 8 décembre 2022.
À la fin de l’année 2021, le président biélorusse A. Loukachenko organisait l’arrivée de réfugiés principalement irakiens sur le territoire biélorusse, pour ensuite les orienter vers la frontière européenne, c’est-à-dire vers la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Face à cette « instrumentalisation des migrants », ces États européens en première ligne ont adopté des pratiques de refoulement et parfois de violence, contraires à leurs engagements en matière d’asile. Plutôt que de condamner ces pratiques ni mettre en place des mesures pour garantir l’accès au droit d’asile, la Commission européenne a proposé le 1er décembre 2021 des mesures provisoires d’urgence en faveur de ces trois pays, sur la base de l’article 78, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), permettant d’établir des mesures ad hoc en cas de « situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers ». Puis, le 14 décembre 2021, la Commission a proposé un règlement afin de faire face à de possibles nouvelles situations de déstabilisation de l’UE par l’instrumentalisation de réfugiés, visant à établir un système pérenne pour faire face à ces situations.
Ces deux propositions étaient problématiques, car elles portent des dérogations au régime d’asile commun, un recul des droits et garanties des réfugiés, ainsi qu’un risque accru de violations du principe de non-refoulement, autrement dit de non-renvoi de personnes sur le territoire d’un État où leurs vies ou libertés seraient menacées, pierre angulaire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 également consacrée dans le TFUE (article 78).
Les mesures provisoires sur base de l’article 78, paragraphe 3, furent abandonnées après quelques mois, un accord n’ayant pas été trouvé entre les États membres et les afflux vers les États frontaliers de la Biélorussie ayant diminués. Néanmoins, l’adoption de la proposition de règlement fut une des priorités de la présidence tchèque du Conseil de l’UE.
Dans les dérogations que souhaitait adopter la présidence se trouvaient :
▶ La possibilité d’établir des points d’enregistrements des demandes d’asile à la frontière et la possibilité de restreindre le nombre d’enregistrement, ce qui créerait un fort risque que les États n’enregistrent pas toutes les demandes.
▶ La possibilité d’établir une procédure à la frontière, impliquant une rétention des demandeurs d’asile. De surcroît, la « fiction de non-entrée » sur le territoire, qui accompagnerait la procédure, permettrait aux États de se décharger de leurs obligations. En effet, dans cette fiction juridique, les États pourraient affirmer que l’arrivée d’un ressortissant d’un pays tiers n’a lieu que lorsqu’il a été autorisé à entrer dans un État, indépendamment de sa présence physique sur le territoire, et que, par conséquent, les États n’auraient pas l’obligation de lui accorder des droits qu’ils octroient habituellement aux réfugiés présents sur leur territoire.
▶ La possibilité d’établir un recours sans effet suspensif automatique, qui pourrait conduire à des retours alors même que la décision sur la demande d’asile n’aurait pas autorité de la chose jugée.
▶ La possibilité, une fois le statut de réfugié reconnu, de définir des conditions matérielles d’accueil (en France, une allocation mensuelle et un hébergement dans une structure dédiée) différentes. Les réfugiés instrumentalisés seraient ainsi, en plus d’avoir été utilisés à des fins politiques, discriminés négativement par rapport à des réfugiés que l’on pourrait qualifier de classique.
▶ La possibilité de déroger à certaines règles concernant les retours du pacte européen sur l’asile et la migration, proposé par la Commission en 2020 et ayant pour but de réformer le régime commun, et qui n’est toujours pas adopté. Beaucoup de références au pacte sont présentes dans la proposition de règlement relatif à l’instrumentalisation, ce qui a peut-être participé à son rejet.
La proposition prévoit certaines garanties, telles qu’une demande d’autorisation préalable à la Commission, une décision d’exécution préalable du Conseil, une durée maximale des dérogations de six mois prorogeables, un suivi de la Commission, ou encore des priorités ou exclusions de certaines dérogations des personnes vulnérables. Néanmoins, de nombreuses organisations ont souligné les risques d’un tel règlement, notamment le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE) dans un appel signé par Forum réfugiés.
Le 8 décembre 2022, le Conseil de l’UE n’a pas trouvé d’accord sur la proposition de la Commission, retravaillé par la présidence tchèque. Il n’y aura donc pas d’envoi au Parlement européen, co-législateur, pour une première lecture. D’après les déclarations des futures présidences du Conseil, le règlement ne sera pas de nouveau une priorité. De plus, même si un accord est prochainement trouvé au Conseil, il existe une forte réticence du Parlement à adopter le règlement. Ainsi, la proposition devrait être retirée.