Pacte sur la migration et l’asile : quel impact pour l’exercice du droit d’asile en France ?
Le 20 décembre 2023, un accord politique a été trouvé sur cinq nouveaux textes du Pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission européenne. Cela devrait aboutir à une adoption prochaine de ces nouvelles mesures. Il convient donc de s’interroger sur leur impact possible sur la législation française.
L’accord trouvé après une nuit de trilogue (réunion informelle entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission, avant ou en parallèle de la première lecture)¸qui n’a pas été publié mais simplement relayé à travers des éléments de communication ne clôt pas le processus législatif : les textes encore être formellement adoptés par le Parlement européen et le Conseil, qui ont pour objectif de les voter avant les élections européennes de juin 2024. Des réunions au niveau technique doivent encore avoir lieu. Cependant, nous connaissons déjà les grandes lignes des textes qui seront probablement approuvés, et il convient donc de s’interroger sur leur possible impact en France.
Les institutions européennes se sont accordées afin de mettre en place une procédure de filtrage pour toute personne entrant irrégulièrement dans l’Union européenne (UE), entrant suite à une opération de sauvetage, qui demande l’asile à un poste frontalier, et aux ressortissants de pays tiers « trouvés » sur le territoire de l’UE et qui sont entrés de manière irrégulière. Cette procédure comprendra l’identification, la collecte de données biométriques, des contrôles de santé et de sécurité ; cela pendant un maximum de sept jours, pendant lesquels la fiction de non-entrée sera appliquée (la personne n’aura juridiquement pas foulé le territoire de l’UE). À cette fin, les personnes concernées pourront être maintenues dans un lieu de privation de liberté. Chaque État membre devra créer un mécanisme de suivi indépendant pour assurer le respect des droits fondamentaux lors de cette étape. Ce filtrage a également pour but d’orienter vers la procédure (d’examen de la demande d’asile ou de retour) adéquate.
Cette procédure s’apparente à celle de la zone d’attente française, où un étranger, même mineur, peut être maintenu dans un lieu déterminé, principalement dans les aéroports. Le cadre européen pourrait cependant modifier en profondeur ce dispositif français, qui ne permet un enfermement que pour une durée bien plus courte (maximum 20 jours, pouvant exceptionnellement être porté à 26 jours, alors que les textes du Pacte permettent un enfermement de 7 jours pour le filtrage qui peut se prolonger ensuite plusieurs mois selon la procédure appliquée) et des garanties procédurales plus importantes (notamment en matière de droit au recours). Une question cruciale demeure par ailleurs en suspens sur le champs d’application de ce dispositif européen de filtrage qui, selon l’interprétation qui sera faite des textes, pourrait s’appliquer simplement aux personnes entrant aux frontières extérieures (ce qui aurait donc un impact limité pour la France) ou plus largement à toute personne interpellée en situation irrégulière sur le territoire (qui serait ainsi renvoyée vers un dispositif de filtrage, possiblement intégré à notre dispositif de rétention ?) voire à celles se présentant aux autorités pour demander l’asile dès lors qu’elles ne peuvent justifier d’une entrée régulière dans l’UE.
Les trilogues ont aussi donné lieu à un accord sur le règlement « Eurodac », c’est-à-dire le texte régissant la base de données sur les empreintes digitales des demandeurs d’asile (qui seront prises lors du filtrage). Celle-ci contiendra désormais, et de manière additionnelle, des images faciales et des informations complémentaires, dont les décisions de renvoi et de relocalisation, et des éléments sécuritaires ; cela pour tous les demandeurs d’asile à partir de 6 ans (contre 14 ans aujourd’hui). Le fait qu’une personne ait été débarquée dans un État membre à la suite d’une opération de recherche et de sauvetage sera enregistré séparément et utilisé à des fins statistiques afin de fournir une image plus précise des flux migratoires vers l’UE. De plus, l’interopérabilité d’Eurodac et d’autres bases sera améliorée. En France, ce changement implique une étape supplémentaire à la préfecture : la prise d’une photo. Il implique également une formation étendue des agents à la collecte de données de mineurs.
Concernant le règlement relatif à la gestion de la migration et de l’asile, qui remplacera le règlement dit « Dublin », sans changer le principe de base, il a été établi que si aucun critère spécifique de détermination de l’Etat compétent n’est applicable, l’État membre d’arrivée sera toujours responsable de l’examen de la demande d’asile. La nouveauté réside dans la réserve de solidarité obligatoire avec les pays connaissant un plus gros volume de demandes, qui s’établira chaque année. Tous les pays de l’UE devront contribuer par des relocalisations (transferts d’un demandeur ou d’un bénéficiaire de la protection internationale du territoire du pays d’entrée vers un autre) et/ou des contributions financières (pour améliorer le système d’asile du pays bénéficiaire, financer des projets dans des pays tiers ou encore des programmes de retour), au choix. Le calcul de la contribution de chaque État sera basé sur la taille de la population, son produit intérieur brut (PIB) et ses volumes d’arrivées. Le seuil minimum pour les relocalisations est fixé à 30 000 personnes et la contribution financière à 600 millions d’euros au niveau de l’UE. En cas de promesses de relocalisation insuffisantes, un État membre bénéficiaire pourra demander aux autres États d’assumer la responsabilité de l’examen des demandes de protection internationale de personnes qui seront ensuite renvoyées dans l’État membre bénéficiaire, en remplacement des relocalisations. Un poste de coordinateur des relocalisations est aussi prévu.
Il est difficile de déterminer si la France, qui relocalise actuellement volontairement, sans publier de données, devra relocaliser davantage, ou contribuer davantage financièrement. En 2022, le pays était au deuxième rang européen pour sa population et son PIB, derrière. De plus, le pays ne connaît pas, par sa situation géographique, un volume important d’arrivée depuis des frontières extérieures de l’UE (si les arrivées sont définies ainsi). Il convient aussi de se demander comment les arrivées seront prises en compte, dans la mesure où la formule de calcul n’apparaît pas dans les textes disponibles pour l’instant.
Le règlement sur les procédures contiendra pour sa part, comme son nom l’indique, des procédures communes à travers l’UE pour accorder et retirer la protection internationale, et viendra remplacer les dispositions de l’actuelle directive Procédures. Le traitement des demandes devrait être de 6 mois maximum pour une première décision, avec des limites plus courtes pour les demandes manifestement infondées ou inadmissibles et aux frontières de l’UE. Une aide juridique gratuite sera disponible dès la phase administrative. Les demandeurs d’asile dont la demande est rejetée devront être renvoyés en moins de 12 semaines. En outre, les personnes considérées comme un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public, ayant induit les autorités en erreur en présentant de fausses informations d’identité ou de nationalité, ou d’un pays dont le taux de reconnaissance du statut de réfugié est inférieur à 20 %, seront toujours soumis à la procédure à la frontière, où la fiction de non-entrée s’appliquera : elles pourraient ainsi être maintenues pendant 12 semaines max. pour mener cette procédure d’asile. Les mineurs non accompagnés ne seront néanmoins pas soumis à celle-ci, à moins qu’ils ne présentent un risque pour la sécurité. Chaque pays disposera d’un nombre maximal de demandes à examiner à la frontière. La capacité « adéquate » au niveau de l’UE pour mener à bien les procédures frontalières sera de 30 000 places d’accueil. Les États membres devront s’assurer qu’ils sont en mesure de mener ces procédures, d’autant plus que les capacités adéquates seront progressivement augmentées au cours des trois années suivant l’entrée en vigueur des nouvelles règles. Lorsque la capacité maximale sera atteinte, les demandeurs d’asile seront dirigés vers la procédure d’asile ordinaire. Finalement, les États membres pourront continuer d’utiliser les listes nationales des pays sûrs.
En France, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) doit déjà traiter les demandes en 6 mois dans le cadre d’une procédure normale. Il n’est pas clair si le délai de 12 semaines pour éloigner concerne la délivrance d’une décision de retour ou un retour effectif, cette dernière hypothèse étant nettement plus compliqué à mettre en œuvre en pratique au regard de l’inefficacité actuelle de notre politique d’éloignement. Concernant la procédure à la frontière, la zone d’attente française s’y apparente, avec cependant les nuances évoquées précédemment. Nous pouvons donc nous attendre à une augmentation des placements dans le futur, dans la mesure où les ressortissants d’un pays avec un taux de reconnaissance inférieur à 20% doivent nécessairement passer par la procédure à la frontière (avec cependant l’incertitude présentée précédemment sur le champs d’application de ce dispositif d’enfermement qui débute normalement par le filtrage). La France devra donc veiller à avoir les infrastructures et moyens adéquats.
Malgré une forte opposition des organisations de la société civile, le règlement relatif aux crises sera fusionné avec la proposition ultérieure de règlement relatif aux situations d’instrumentalisation. Le règlement fusionné prévoit un ensemble de dérogations en cas de crise (défini comme une situation où le système d’asile, d’accueil, de protection de l’enfance ou de retour d’un État n’est pas fonctionnel et risque d’avoir de graves conséquences sur le fonctionnement du système d’asile commun), dont un allongement de la période d’enregistrement des demandes (jusqu’à 10 jours), un prolongement du délai de la procédure à la frontière (prolongé de 6 semaines), et une application de la procédure à la frontière aux demandeurs d’une nationalité ayant un taux de reconnaissance allant jusqu’à 50 % en cas « d’afflux massif ». Il est aussi attendu, en cas de crise, des mesures de solidarité et des protections prima facie, dans le sens d’une priorité à l’examen des demandes en raison de l’origine. Dans des situations d’instrumentalisation, autrement dit une situation où un pays tiers ou un acteur non étatique hostile encourage ou facilite la circulation de ressortissants de pays tiers et d’apatrides vers les frontières extérieures de l’UE ou vers un État membre afin de déstabiliser le pays (il a été précisé que les opérations humanitaires ne devraient pas être considérées comme telles), la procédure à la frontière s’appliquera à toutes les arrivées, à l’exception des personnes vulnérables et des familles avec enfants de moins de 12 ans, qui pourraient être exclues. L’application par la France de ces dispositions demeure très incertaine et a priori pas à l’ordre du jour.
Filipo Grandi, Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a décrit l’accord comme une mesure positive, malgré les alertes de quatre groupes d’experts de l’Organisation des Nations unies sur la détention d’enfants, le risque de refoulement, la compromission de la protection subsidiaire, le manque de recours et le risque de discrimination.
Les réunions au niveau technique à venir devraient nous apporter plus d’informations sur les futurs impacts et sur les périodes de mise en œuvre des textes (les communiqués de presse indiquant deux ans pour le règlement gestion, mais ne spécifiant rien pour les autres) avant l’adoption officielle. Enfin, d’autres textes devraient aussi être adoptés dans la foulée sur la qualification, l’accueil, la réinstallation, les retours, les résidents de longue durée et le permis unique.