L'Italie adopte un décret-loi menaçant gravement le droit d'asile
Le 29 novembre, la Chambre des députés italienne a adopté le très controversé décret-loi sur la sécurité et l'immigration. Cette nouvelle législation menace gravement les droits des demandeurs d'asile, en prévoyant notamment la suppression du statut de protection humanitaire.
La nouvelle législation, portée par Matteo Salvini, le chef de la Ligue du Nord et ministre de l’Intérieur, s’inscrit dans la continuité de la politique anti-migrants développée par le gouvernement Conte depuis sa formation en juin 2018. Elle a été adoptée par les députés italiens le 29 novembre 2018 par 396 voix contre 99.
Ce décret-loi, approuvé à l’unanimité par le Conseil des Ministres fin septembre, avait été présenté par Matteo Salvini comme « un pas en avant pour rendre l'Italie plus sûre, pour combattre mafieux et passeurs avec plus de force et réduire les coûts d'une immigration exagérée ». Le vote du texte intervient dans un climat de défiance à l’encontre des migrants et des réfugiés dans le pays malgré une baisse de 80% des arrivées irrégulières sur le sol italien en 2018 selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) .
Invoquant un délaissement de l’Union Européenne dans la gestion des flux migratoires, le gouvernement italien a élaboré un texte qui durcit nettement la situation des ressortissants étrangers. Une mesure phare de cette loi est la suppression des permis de séjour humanitaire d’une durée de 6 mois à deux ans renouvelable, qui pouvaient être délivrés à l’issue de la procédure d’asile. En 2017, sur 35 130 décisions positives relatives aux demandes d’asile, 20 015 relevaient de ce statut de protection humanitaire soit 57 % des protections accordées. A la place de ce statut, le décret-loi prévoit d’instaurer des permis de séjour particuliers, tels qu’une « protection spéciale » d’un an pour les victimes de violence domestique ou d'exploitation grave au travail, ou d’une durée de six mois dans le cas d’une « catastrophe naturelle dans le pays d’origine ».
Le décret introduit également une réorganisation du système d’accueil et d’éloignement, avec une augmentation de la durée de rétention dans les centres pour le rapatriement de 90 à 180 jours, ainsi que le maintien des demandeurs d’asile dans les hotspots jusqu’à 30 jours ou dans des locaux aux frontières. En outre, seules les personnes dont le statut de réfugié a été reconnu et les mineurs non accompagnés seront désormais éligibles aux centres d’accueil SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati), où de nombreux demandeurs d’asile étaient hébergés. Enfin, les motifs de révocation ou de refus de la protection internationale seront dorénavant élargis aux crimes comme les violences sexuelles, la production, la détention ou le trafic de stupéfiants, les braquages ou les extorsions, les vols, les cambriolages, les menaces, les violences ou encore les résistances face aux officiels.
Plusieurs voix se sont élevées afin de s’opposer à ce texte. Au niveau international, le Haut-commissariat des Nations-unies pour les réfugiés s’est déclaré inquiet quant à l’entrée en vigueur de telles mesures qui ne fourniraient pas les « garanties adéquates », alors que Dunja Mijatovic, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a pour sa part avancé que cette loi représente un retour en arrière en matière d’accès à la protection internationale. Plus récemment, plusieurs experts des Nations unies ont fustigé dans une déclaration commune « le racisme et la xénophobie éhontés » et se sont prononcés en opposition au texte sur l’immigration, qui « mènerait certainement à des violations du droit international des droits de l’homme ».
La dégradation du système d’asile Italien pourrait avoir des conséquences sur la mise en œuvre du règlement Dublin, dont les dispositions permettant le transfert de demandeurs d’asile vers un pays d’arrivée peuvent notamment être annulées s’il est avéré que l’accès au système d’asile dans cet Etat n’est pas assuré. Avant même l’adoption de ce décret-loi, plusieurs juridictions administratives françaises avaient déjà motivé des annulations de transfert en invoquant la situation italienne en matière d’accueil des demandeurs d’asile ou les difficultés des autorités italienne à traiter les demandes d’asile en conformité avec les exigences légales (voir notamment Cour administrative d’appel – CAA - de Lyon le 2 octobre 2018 ou CAA de Nantes le 5 octobre 2018). La reconnaissance de « défaillances systémiques » du système d’asile italien pourrait aboutir à une suspension des transferts vers ce pays, principal destinataire des requêtes adressées par la France au titre du règlement Dublin (en 2017, 16 360 saisines de l’Italie par la France soit 39% de l’ensemble des saisines).