Le Réseau européen sur l’apatridie (ENS), dont Forum réfugiés-Cosi est membre, a publié le 28 janvier 2021 une analyse du nouveau Pacte sur l’asile et la migration, qui se concentre sur l'impact des propositions présentées par la Commission européenne en septembre 2020 sur les droits fondamentaux des personnes apatrides. S’appuyant sur les recommandations d’autres organisations de la société civile, l’ENS s’alarme du manque de prise en compte de l’apatridie dans les propositions de la Commission et des conséquences de cette lacune sur les personnes apatrides ou exposées au risque d’apatridie. Bien que presque tous les États membres de l'UE soient partie aux instruments internationaux relatifs à l’apatridie tels que la Convention de 1954, il existe toujours un fossé entre ces engagements internationaux et la mise en œuvre effective de ces droits. Dans ce contexte, l’ENS plaide pour l’amélioration des mécanismes d'identification des apatrides dans le cadre des procédures d'asile et du séjour des étrangers, et l’établissement de procédures de détermination d'apatridie efficaces et facilement accessibles, actuellement mises en œuvre dans un nombre très limité de pays européens.

Afin de renforcer l’identification des personnes apatrides et la protection de leurs droits, l’ENS recommande d’insérer une référence explicite à la Convention de 1954 dans les propositions du Pacte pertinentes pour définir clairement le terme « apatride ». De plus, le règlement portant sur le filtrage des personnes arrivant aux frontières extérieures de l’UE devrait comporter une obligation d'identifier et d'enregistrer les indicateurs d'apatridie en tant que facteur de vulnérabilité entraînant des garanties procédurales spécifiques. L’ENS considère par ailleurs que les propositions relatives au règlement instituant une procédure commune de protection internationale peut aboutir à la création de deux normes de procédures d'asile, largement déterminées par le pays d'origine de l'individu concerné, et entraver ainsi la possibilité d'accéder à des permis de séjour pour d’autres motifs que l'asile, notamment aux procédures de détermination d’apatridie dans les pays où elles sont établies. De façon générale, les propositions du Pacte introduisent une grande complexité et mettent l'accent sur l'externalisation, la dissuasion, le confinement et le retour, au détriment des garanties procédurales, des droits fondamentaux et de l'identification des besoins de protection, risquant de piéger les personnes apatrides dans des systèmes qui criminalisent leur statut migratoire irrégulier et les soumettent à des procédures répétées de rétention et de retour.

Selon l’ENS, les apatrides devraient être explicitement exclus de toutes les procédures à la frontière et du système de parrainage au retour proposé par le règlement sur la gestion des crises, en raison des obstacles importants au retour auxquels ils sont confrontés. En effet, la nature même de l'apatridie induit une impossibilité du retour, puisque la personne apatride n'a pas de pays d’origine. Lorsqu’elle n’est pas identifiée, l'apatridie peut donc entraîner des tentatives d'expulsion répétées et infructueuses et des périodes de rétention prolongée. La refonte de la directive retour devrait ainsi contenir des références aux normes juridiques internationales pour la protection des apatrides. Les droits spécifiques des apatrides devraient en outre être intégrés dans les mécanismes de suivi des droits fondamentaux et les orientations de l’Agence européenne des droits fondamentaux (FRA).

Une attention particulière est enfin portée à l'impact des propositions du Pacte sur les droits des enfants en situation de migration. Si l’ENS salue le renforcement du rôle des tuteurs, l'assouplissement des règles de preuve pour le regroupement familial et l'augmentation des références à l'intérêt supérieur de l'enfant, les enfants ne sont toutefois pas exclus du nouveau filtrage obligatoire à la frontière préalablement à l'entrée. Ainsi, tous les enfants arrivant illégalement à la frontière pourraient être privés de liberté pendant cinq, voire dix jours. En outre, les enfants âgés de 12 à 18 ans voyageant avec leur famille ne sont pas exemptés de la procédure à la frontière et risquent donc d'être retenus à nouveau pendant une période pouvant aller jusqu'à dix mois en situation de crise. Cette distinction arbitraire entre les enfants de plus ou de moins de 12 ans est contraire à la définition du « mineur » dans le droit international et signifie que les enfants apatrides peuvent être exposés à un risque de violation de leurs droits, y compris le droit d'acquérir une nationalité. Il est donc essentiel que les propositions du Pacte reconnaissent les droits et les circonstances spécifiques des enfants apatrides, et renforcent les mécanismes d’identification et d’orientation vers les procédures de protection internationale pertinentes. L’ENS préconise également une évaluation individuelle des enfants membres d’une famille exposés au risque d’apatridie, sans automatiquement supposer que les enfants possèdent la nationalité de leurs parents.

La prise en considération de l’apatridie passe également par l’amélioration de la collecte et l’analyse des informations relatives aux apatrides. L’ENS propose ainsi d’inclure l’apatridie dans les travaux du Réseau de préparation aux migrations et aux crises, dans les rapports périodiques de la Commission européenne sur la gestion des migrations ainsi que dans les outils de collecte de données encadrés par le règlement Eurodac. L'Agence européenne pour l'asile devrait également intégrer l'apatridie dans ses activités d’échange d’informations, de suivi et d’assistance opérationnelle.

À travers cette analyse, l’ENS souligne ainsi l’absence de prise en compte de l’apatridie dans les négociations européennes en matière de politique d’asile et de migration, et appelle l’UE à mettre en place une stratégie régionale globale pour lutter contre l'apatridie et à veiller à ce qu'elle soit intégrée dans la politique migratoire et d’asile européenne.