Rétention des demandeurs d’asile : vers une évolution législative notable ?
Peu médiatisés, plusieurs aspects du projet de loi gouvernemental sur l’immigration pourraient impacter notre système d’asile de façon significative. Parmi eux, une disposition vise à élargir la possibilité de placer en rétention des personnes demandant l’asile et dont l’instruction des craintes en cas de retour est actuellement menée sans coercition.
L’examen d’une demande d’asile d’un ressortissant de pays tiers qui est présent sur le territoire français est normalement mené dans un cadre non coercitif : en principe, le parcours du demandeur d’asile (voir notre vidéo expliquant la procédure d’asile), de l’enregistrement de sa demande par la préfecture à la réponse définitive par les instances de l’asile, ne s’accompagne pas d’une mesure de privation de liberté.
Le cadre juridique actuel comporte cependant quelques exceptions. Lors d’une interpellation à la frontière, une personne qui demande l’asile peut être placée en zone d’attente – un lieu de privation de liberté où s’applique une procédure d’asile spécifique (voir notre article d’avril 2022) – quand de tels lieux peuvent être créés et sont mis en place. Un demandeur d’asile placé sous procédure Dublin peut aussi être placé en rétention pendant la procédure de détermination de l’État européen responsable de sa demande, s’il existe un « risque de fuite ». La loi permet par ailleurs de placer en rétention une personne dont la demande d’asile est en cours d’instruction mais qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement fondée sur sa dangerosité, ou un demandeur d’asile qui n’a pas acquis ou a perdu son droit au maintien sur le territoire (notamment ceux provenant d’un « pays d’origine sûr » qui peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement pendant la phase de recours).
D’une manière générale, l’asile en rétention est réservé jusqu’ici aux personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement et qui formulent une demande avant sa mise en œuvre, pour faire valoir au dernier moment des craintes qui pourraient justifier qu’elles restent en France. Le dispositif mis en place dans ces lieux est ainsi basé sur ces situations, avec une instruction menée dans des délais rapides avec des garanties procédurales limitées (voir notre article de mars 2020).
Le projet de loi sur l’asile et l’immigration, présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023 et dont la suite du processus législatif demeure incertaine après la motion de rejet préalable adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 11 décembre 2023, pourrait modifier en profondeur ce cadre juridique (sur les différents impacts en matière d’asile, voire notre article de novembre 2023). Par un amendement introduit pendant les débats au Sénat, le Gouvernement a en effet proposé un nouvel article visant à étendre largement la possibilité de placement en rétention des demandeurs d’asile.
Celui-ci ajoute notamment une possibilité d’assignation à résidence et de placement en rétention pour les demandeurs d’asile qui présentent une demande d’asile en dehors des guichets dédiés (aujourd’hui le guichet unique pour demandeur d’asile - GUDA, que le projet de loi vise à transformer en « pôle France asile »), notamment lors d’une interpellation par les services de police, « afin de déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande d’asile » en précisant que le placement en rétention « ne peut être justifié que s’il présente un risque de fuite » qui est ensuite défini dans l’article.
A titre d’exemple, lorsqu’une personne se fait aujourd’hui interpeller dans un train pour rejoindre des compatriotes ou de la famille dans une région française où elle souhaite demander l’asile, elle peut exprimer son souhait de solliciter une protection et doit alors être orientée vers le GUDA le plus proche sans coercition. Si la loi est adoptée, elle permettra à la préfecture de décider d’un placement en rétention dès lors qu’un « risque de fuite » (dont la définition légale recouvre des hypothèses très larges, par exemple une présence en France depuis plus de 90 jours) est identifié.
Ainsi l’étranger, qui n’a jwamais vu sa demande d’asile examinée jusqu’ici et dont le dossier peut comporter des éléments particulièrement complexes (qui justifient habituellement une instruction approfondie et un long entretien à l’OFPRA, potentiellement suivi d’une audience à la CNDA en cas de recours), sera soumis au cadre dégradé de l’asile en rétention : il aura 5 jours pour écrire sa demande, l’OFPRA aura 96 heures pour statuer et s’entretenir avec le demandeur généralement en visio-conférence, et le droit au recours ne sera généralement pas effectif.
L’impact d’une telle mesure demeure inconnu, aucune donnée publique ne permettant de savoir combien de demandes d’asile sont actuellement présentées en dehors des guichets uniques pour demandeurs d’asile et donc combien de situations nouvelles pourraient être orientées vers les centres de rétention (dont la capacité est déjà estimée déjà insuffisante par le gouvernement, qui vise parallèlement à y prioriser le placement des personnes présentant une menace à l’ordre public).
En orientant une partie des demandes d’asile actuellement instruites dans le cadre habituel vers une procédure en rétention, cette disposition s’inscrit par ailleurs en contradiction avec les « principes directeurs » du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) publiés en 2020 à ce sujet et qui précisent que « la détention de demandeurs d’asile devrait normalement être évitée et ne constituer qu’une mesure de dernier ressort » car « le respect du droit de demander l’asile implique l’instauration de dispositifs d’accueil ouverts et humains pour les demandeurs d’asile ».
Ainsi cette disposition du projet de loi pourrait affaiblir notre système d’asile et le rendre moins efficace en ce qu’il serait moins à même d’identifier correctement les craintes en cas de retour des personnes qui demandent l’asile (qui pourraient in fine être renvoyées vers leurs persécuteurs en cas d’erreur d’appréciation des instances de l’asile).