En rétention, l’exercice difficile du droit d’asile
Le droit d’asile peut être invoqué par un étranger à tout moment, y compris en centre de rétention administrative. Dans ce contexte, l’exercice du droit d’asile s’inscrit cependant dans un cadre juridique spécifique, dont la mise en œuvre est marquée par de nombreuses difficultés.
L’engagement des États à ne pas renvoyer vers leur pays des personnes qui ont des craintes en cas de retour suppose de pouvoir solliciter les autorités à tout moment, pour demander un examen de sa situation au regard des normes relatives au droit d’asile.
Tout étranger peut ainsi exercer ce droit fondamental à la frontière lors de son arrivée (avec placement possible en zone d’attente), sur le territoire auprès de la préfecture (voir le parcours du demandeur d’asile sur le territoire), ou avant la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement au cours d’un placement en centre de rétention administrative (CRA). Dans cette dernière hypothèse, les demandeurs d’asile sont soumis à un cadre juridique spécifique.
Le délai pour formuler une demande d’asile en rétention est de cinq jours. Une demande peut cependant être déposée au-delà de ce délai si la personne n’a pas pu bénéficier d’une assistance juridique pendant ces cinq jours, ou si elle invoque des faits survenus après ce délai. Dans un rapport publié en 2018, l’association La Cimade indiquait qu’en 2017, 109 demandes d’asile sur 617 formulées dans neuf centres de rétention (soit 18%) avaient été jugées irrecevables en raison du dépassement du délai.
Dès lors qu’une demande est déposée, elle devrait en principe être instruite sur le territoire avec les garanties habituelles entourant la demande d’asile. La loi permet cependant à la préfecture de maintenir la personne en CRA si elle « estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement ». En pratique, les décisions de maintien en rétention sont systématiques. Les préfectures sont tenues de motiver ces décisions, mais elles ne peuvent ni avoir connaissance du fond de la demande ni considérer que le simple fait de demander l’asile après son placement en rétention vise à faire échec à l’éloignement, ce qui aboutit souvent à des décisions stéréotypées. Alors que les décisions de privation de liberté sont habituellement contrôlées par le juge des libertés et de la détention (JLD), conformément à la Constitution française qui désigne l’autorité judiciaire comme « gardienne de la liberté individuelle », le recours contre la décision de maintien suite à une demande d’asile est examiné par le tribunal administratif – une exception validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 4 octobre 2019.
L’une des principales difficultés de la procédure d’asile en rétention repose sur les conditions de l’entretien. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) entend le récit des étrangers retenus à travers un dispositif de visio-conférence, qui complique souvent la communication et pose des enjeux de confidentialité dans certains CRA. Privés de liberté, les demandeurs d’asile en CRA peuvent par ailleurs rencontrer des difficultés pour préparer leur entretien – au cours duquel ils peuvent être assistés par un tiers habilité, notamment issu d’une association présente en rétention.
Le taux d’accord en rétention n’a pas été communiqué par l’OFPRA en 2018, mais les associations qui assurent l’aide à l’exercice des droits dans ces lieux n’ont recensé cette année-là qu’une vingtaine de décisions positives pour 1 261 demandes cette année-là (pas de données plus récentes disponibles). Bien que de nombreuses demandes soient formulées dans ces lieux pour tenter d’éviter ou de retarder l’éloignement - un étranger ne pouvant être éloigné tant que sa demande d’asile, si elle est jugée recevable, n’a pas été examinée par l’OFPRA -, de nombreux étrangers peuvent prétendre à une protection au titre de l’asile qu’ils n’ont pas pu solliciter avant leur placement en rétention.
Une autre difficulté repose sur l’absence de caractère suspensif du recours dans ces lieux. En effet, si un recours peut être formé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) comme sur le territoire, cette démarche ne suspend pas la mise en œuvre de l’éloignement. Cette situation n’est pas de nature à garantir l’effectivité des recours pourtant requise par la jurisprudence européenne en la matière, impliquant des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité telles qu’exigées par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt de 2012 condamnant la France pour l’absence d’effectivité du recours en rétention.
Enfin, l’articulation entre le processus d’éloignement et la procédure d’asile constitue aussi une problématique majeure. L’une des démarches clés pour les autorités lors de la période de rétention, consiste à obtenir un laissez-passer auprès du pays d’origine pour permettre un retour (voir notre article de newsletter de janvier 2019). Cela suppose une présentation de l’étranger retenu auprès des autorités consulaires, une démarche prohibée dans le cadre du droit d’asile car susceptible de menacer la sécurité du demandeur ou de ses proches restés au pays si les autorités nationales sont effectivement à l’origine de persécutions. Mais si aucune démarche n’est entamée, l’administration peut se voir reprocher un manque de diligence qui ne justifie pas le maintien en rétention et entraîne donc une libération par le juge.
Sur ce sujet, la Cour de cassation a estimé en 2011 que le dépôt d’une demande d’asile ne dispensait pas l’administration de poursuivre les démarches nécessaires à l’éloignement. En 2013, la Cour d’appel de Paris a cependant précisé que si les autorités consulaires peuvent être saisies, les personnes ne peuvent y être présentées tant que la demande d’asile est en cours d’instruction et cette saisine ne doit pas mener à transmettre des informations confidentielles. En écho à ces exigences, la CNDA estime d’ailleurs que le partage de l’information selon laquelle le retenu était demandeur d’asile auprès des autorités consulaires sollicitées pour l’obtention d’un laissez-passer, est de nature à aggraver les craintes de persécutions.
L’ensemble de ces éléments questionne la qualité du système d’asile en rétention, un lieu où toutes les conditions devraient être réunies pour s’assurer qu’aucune personne n’est éloignée vers un pays où elle craint des violences et persécutions.