Apatridie : une protection solide mais un statut fragile pendant la demande
Le 22 novembre dernier, Forum réfugiés-Cosi organisait au Bureau de liaison du Parlement Européen à Paris une conférence sur la protection des apatrides en France et en Europe. Cet événement fut l'occasion d'étudier le cadre légal régissant la protection des apatrides en France ainsi que sa mise en œuvre.
Lors d’une conférence organisée par Forum réfugiés-Cosi le 22 novembre au Bureau de liaison du Parlement européen à Paris, la question de la protection des apatridies en France a été débattue par plusieurs acteurs de cette problématique.
La conférence s’inscrivait dans le cadre de la participation de Forum réfugiés-Cosi au Réseau européen sur l’apatridie, et plus précisément à un outil mis en place par ce réseau : l’Index européen sur l’apatridie, qui permet de comparer les législations et les pratiques dans plusieurs États de l’Union européenne (à propos de cet outil, voir notre article de newsletter de septembre 2019 ).
Anomalie juridique, l’apatridie affecte plus de 600 000 individus en Europe et au moins 12 millions de personnes à l’échelle du monde entier, dont un tiers sont des enfants, selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Selon l’article premier de la Convention relative au statut des apatrides de 1954, le terme « apatride » désigne « une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ». L’apatridie peut être le résultat de différents facteurs, tels que la discrimination, la succession d’Etats, un conflit, des déplacements forcés, ou encore des politiques délibérées de privation ou de rejet de la nationalité. Par exemple, 25 Etats dans le monde n’autorisent pas la mère à transmettre sa nationalité à ses enfants, ce qui peut créer des cas d’apatridie lorsque le père est inconnu, disparu ou décédé.
En France, c’est l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) qui est en charge de la procédure de détermination du statut d’apatride depuis sa création en 1952 – avant même la Convention de 1954. Une quinzaine de pays seulement dans le monde ayant établi une procédure de ce type menée par une instance spécialisée, il s’agit donc d’une bonne pratique saluée par le HCR et relevée dans l’Index européen sur l’apatridie. En 2017, 341 nouveaux dossiers ont été déposés à l’OFPRA, soit une hausse de 19 % par rapport à 2016. Un peu plus de la moitié des demandeurs sont originaires d’Europe, un tiers d’Afrique, 16 % d’Asie. La même année 2017, l’OFPRA a pris 298 décisions, dont 65 positives, soit un taux d’admission de 22 %, en augmentation par rapport à l’année précédente (15 %). Il faut également noter que 114 personnes majeures ayant déjà déposé une demande de protection internationale ont été reconnues comme réfugiés-apatrides.
Parmi les récentes évolutions du cadre législatif relatif à l’apatridie, la loi du 10 septembre 2018 a renforcé le droit au séjour pour les apatrides avec un passage du permis de séjour temporaire d’un an renouvelable à une carte pluriannuelle de quatre ans. De plus, le cadre légal français offre un cadre satisfaisant de prévention à l’apatridie. Concernant la procédure de détermination, la charge de la preuve pour permettre la détermination de l’apatridie est partagée entre le demandeur et l’OFPRA. Il a été notamment rappelé la nécessité pour le demandeur de démontrer que malgré l’ensemble des démarches officielles qui ont pu être menés auprès des autorités du pays, aucune nationalité ne lui a été reconnue. Le rôle de l’OFPRA est également d’informer les demandeurs des procédures à mener et de les appuyer dans ces démarches L’enjeu qui peut être notamment soulevé est la longueur de la procédure qui selon les recommandations du HCR doit se limiter entre 6 mois et 1 an. Si l’OFPRA respecte globalement ces délais, certaines procédures complexes peuvent durer plusieurs années.
Des points d’amélioration ont pu être pointées tels que le caractère facultatif de l’entretien, même si la pratique tend à le rendre systématique, ou encore la difficulté de l’accès à la procédure pour les apatrides. A la différence des demandeurs d’asile, les demandeurs du statut d’apatridie ne bénéficient pas d’autorisation de séjour durant la procédure et peuvent donc faire l’objet de mesure d’éloignement. En conséquence, les personnes susceptibles d’être apatrides priorisent généralement la demande d’asile à la demande d’apatridie, ce qui tend à rallonger le traitement de leur demande et à alourdir la tâche de l’OFPRA. Une meilleure identification des cas d’apatridies reste par ailleurs nécessaire pour garantir leur protection et mieux comprendre et appréhender cette problématique.
Enfin, les Etats et les organisations peuvent s’appuyer sur le guide de bonnes pratiques sur la protection des apatrides publié par le HCR en 2014. Si la France est le premier État à avoir instauré une procédure de détermination du statut d’apatride, elle n’a pas encore ratifiée la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Cette démarche pourrait constituer un autre bon exemple de la France dans la lutte contre l’apatridie et un appui important à la campagne du HCR visant à éradiquer l’apatridie d’ici 2024.