Dispositif national d’accueil : un sous-dimensionnement persistant, aux conséquences multiples
Le dispositif national d’accueil n’héberge que 47% des demandeurs d’asile, ce qui fragilise le système d’asile, favorise un report vers l’hébergement d’urgence de droit commun, entraîne la création de campements et impacte le fonctionnement des structures de premier accueil des demandeurs d’asile. En cette période de crise sanitaire, cette situation complique par ailleurs l’application des mesures visant à freiner la propagation du Covid-19.
L’accueil au sein d’un hébergement accompagné constitue un élément déterminant d’un système d’asile. Cela participe des conditions nécessaires à une instruction de qualité, tant pour les demandeurs que pour les instances de détermination de l’asile. L’adaptation du parc aux besoins est par ailleurs nécessaire pour ne pas saturer les places des dispositifs d’hébergement d’urgence de droit commun, qui doivent rester disponibles pour les publics auxquels ils s’adressent. En cette période de crise sanitaire où s’imposent plusieurs mesures visant à éviter la propagation du coronavirus Covid-19, l’enjeu de l’hébergement est d’autant plus crucial.
Pourtant, et malgré les créations de places intervenues ces dernières années, le dispositif national d’accueil pour demandeurs d’asile demeure marqué par un important sous-dimensionnement. Cet indicateur demeure difficile à mesurer, les statistiques publiques étant souvent incomplètes dans ce domaine. La connaissance du nombre de bénéficiaires de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) additionnelle, allouée aux demandeurs d’asile ne disposant pas d’un hébergement, permettrait de connaître la couverture des besoins parmi l’ensemble des bénéficiaires de l’ADA, mais ce chiffre n’est généralement pas publié par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). A défaut, la couverture des besoins peut être obtenue en comparant le nombre de demandeurs d’asile (numérateur) au nombre de places d’hébergement disponibles (dénominateur), à une date déterminée (la fin de l’année généralement). Plusieurs facteurs compliquent cependant ce calcul, tant au regard du numérateur que du dénominateur.
Il est tout d’abord difficile de connaître le nombre de demandeurs d’asile présents sur le territoire à la fin de l’année. La publication d’indicateurs mensuels par l’OFII sur les réseaux sociaux permet cependant de connaître le nombre total de bénéficiaires de l’ADA, soit 151 386 personnes en décembre 2019. Cela ne représente pas l’ensemble des demandeurs d’asile, une partie d’entre eux s’étant vu refuser, suspendre ou supprimer les conditions matérielles d’accueil notamment par application de dispositions issues de la loi du 10 septembre 2018 qui élargit ces possibilités. En 2018, 23 123 décisions de refus, retrait ou suspension avaient été prononcées et 17 755 décisions de ce type étaient recensées à la mi-août 2019 d’après un rapport parlementaire de novembre 2019. En tout état de cause, 151 386 bénéficiaires de l’ADA étaient éligibles en fin d’année aux conditions matérielles d’accueil et donc à un hébergement accompagné : ce numérateur semble donc pertinent pour calculer la couverture des besoins.
Combien de places (dénominateurs) étaient disponibles pour ces demandeurs d’asile au 31 décembre 2019 ? Le ministère de l’Intérieur et l’OFII ne proposent pas le même recensement des places du dispositif national d’accueil. Ce dernier ne prenant pas en compte les places considérées comme « non stables » (CAES, hôtels…), il convient de partir de la capacité totale d’hébergement pour demandeurs d’asile comptabilisée par le ministère à savoir 98 564 places en fin d’année. Toutes ces places ne sont cependant pas occupées par des demandeurs d’asile. Bien que les statistiques soient incomplètes à ce sujet, le croisement des données du ministère de l’Intérieur et de l’OFII permet d’estimer le taux de vacances à 5%, le taux de présence indue à 13% et la part de déboutés et réfugiés en présence autorisée à 10%. Les demandeurs d’asile occupaient donc en fin d’année environ 72% des places dans les lieux dédiés du dispositif national d’accueil, ce qui représente 71 000 demandeurs hébergés.
Si l’on rapporte ces places occupées par des demandeurs d’asile (71 000) à l’ensemble des bénéficiaires de l’ADA (151 386), la couverture des besoins peut être estimée à 47% : environ 80 000 demandeurs d’asile ne sont donc pas hébergés dans un lieu dédié. Moins d’un demandeur d’asile sur deux est ainsi accueilli au sein du dispositif national d’accueil, une proportion stable par rapport aux années précédentes (47% des demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil hébergés dans le DNA en 2017, et 48% en 2018). Comme chaque année, l’objectif de couverture des besoins affiché dans le projet de loi de finances n’est pas atteint. Les documents budgétaires publiés en 2018 prévoyaient de couvrir 72 % des besoins d’hébergement fin 2019, et d’atteindre 86 % à l’horizon 2020. Une annexe au projet de loi de finances 2020 indique un abaissement de la prévision à 52% pour fin 2019, objectif non atteint, et à 63% pour 2020, objectif peu réaliste en l’absence de créations de places d’hébergement pour demandeurs d’asile cette année (voir notre article de newsletter d’octobre 2019). Prenant pour hypothèse une « stabilisation des flux » et une « amélioration de la fluidité du parc d’hébergement », ce document envisage même un taux d’hébergement au-delà de 80% pour 2021.
Des députés de la majorité ont rappelé que cette situation entraînait un report de l’hébergement des demandeurs d’asile vers l’hébergement d’urgence de droit commun qui accueillait entre 9 000 et 11 400 demandeurs d’asile au premier semestre 2019 (soit entre 6 et 8% des 146 000 places recensées dans le parc d’hébergement généraliste fin 2018). Un rapport sénatorial de 2019 a par ailleurs souligné que le sous-dimensionnement du parc d’hébergement « favorise le développement de campements insalubres » où cohabitent demandeurs d’asile, bénéficiaires d’une protection internationale et étrangers en situation irrégulière. Une problématique majeure et Ile-de-France, où 64 opérations d’évacuation de campements ont été menées depuis 2015, mais également sur le littoral nord du pays (Calais, Grande-Synthe) et dans plusieurs grandes villes françaises.
L’une des autres conséquences du manque de places d’hébergement au sein du dispositif national d’accueil est de faire porter une part importante des missions d’accompagnement sur les structures de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA) Ces dispositifs assurent notamment une prestation « d’accompagnement social et administratif des demandeurs d’asile non hébergés après leur passage au GUDA » (guichet unique pour demandeurs d’asile) où l’OFII attribue les conditions matérielles d’accueil. L’orientation vers l’hébergement, pour la petite moitié de demandeurs d’asile qui en bénéficie, n’intervenant quasiment jamais au moment du passage au GUDA mais dans les jours ou semaines qui suivent, l’ensemble des demandeurs d’asile se présentent en SPADA pour être domiciliés et accompagnés dans leurs premières démarches administratives et juridiques (notamment l’envoi du formulaire OFPRA qui doit intervenir dans les 21 jours suivant le passage au GUDA). Les SPADA se trouvent ainsi régulièrement sollicités par les demandeurs d’asile sur leurs besoins en matière d’hébergement sans être en mesure d’apporter des solutions, celles-ci relevant de la compétence de l’OFII (pour l’hébergement dédié aux demandeurs d’asile) ou des SIAO (pour l’hébergement d’urgence de droit commun), ce qui peut créer des incompréhensions et des tensions. Lorsqu’une place d’hébergement est attribuée, il appartient aux SPADA d’ « acheminer le demandeur vers les structures d’hébergement » en lien avec la direction territoriale de l’OFII.