Pacte sur la migration et l’asile : focus sur le règlement « filtrage »
Après des trilogues, c’est-à-dire des réunions informelles entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil en marge de la procédure législative, le Parlement européen (d’abord en commission restreinte puis en plénière le 10 avril 2024) a voté en faveur de plusieurs textes, dont le règlement dit « filtrage » du Pacte sur la migration et l’asile. Un texte qui modifie en profondeur le cadre régissant l’arrivée des ressortissants de pays tiers sur le territoire européen.
Le règlement dit « filtrage », dont le texte est disponible sur le site du Conseil, a pour but d’établir un contrôle (ou filtrage) des ressortissants de pays tiers. Il s’appliquera à toutes les personnes qui : a) sont appréhendées dans le cadre d’un franchissement non autorisé de la frontière extérieure terrestre, maritime ou aérienne d’un État membre; ou b) sont débarquées sur le territoire d’un État à la suite d’une opération de sauvetage ; ou c) ont présenté une demande de protection aux points de passage et qui ne remplissent pas les conditions d’entrée ; ou d) séjournent illégalement sur le territoire d’un État membre lorsqu’elles ont franchi une frontière extérieure de l’UE de manière non autorisée et qu’elles n’ont pas déjà fait l’objet d’un filtrage dans un autre pays.
Le filtrage sera effectué sans délai et devra être achevé dans les 7 jours suivant l’arrestation dans la zone frontalière extérieure, le débarquement sur le territoire d’un État ou la présentation au point de passage frontalier. Cependant, il existe des délais plus courts en cas de rétention ou de filtrage sur le territoire. Il devrait en effet être effectué à tout endroit approprié désigné par chaque État situé à la frontière extérieure ou à proximité de celle-ci ou, à défaut, à d’autres endroits sur le territoire, en tenant compte de la géographie et des infrastructures existantes, et en veillant à ce que le filtrage puisse être effectué sans délai.
Les personnes soumises au filtrage devront rester à la disposition des autorités. Elles ne seront pas autorisées à entrer formellement sur le territoire (il s’agit d’une fiction juridique de non-entrée). Elles devront fournir tous les documents et informations pertinents en leur possession.
De leur côté, les États pourront retenir les personnes, mais devront appliquer les dispositions de la directive « accueil ». Ils pourront être aidés par des agents de Frontex pour cette mission. Ils devront également informer les personnes soumises au filtrage du but, de la durée, et des éléments de celui-ci, ainsi que des résultats possibles, du droit de demander une protection internationale et des règles applicables en la matière, des obligations et conséquences de l’irrespect de celles-ci, et de leurs droits (possibilité de contacter ou d’être contactées par une organisation, droit en termes de protection des données, etc.). Ces informations devront être transmises dans une langue qu’elles comprennent ou qu’elles sont raisonnablement censées comprendre, par écrit, physiquement ou électroniquement, et, au besoin, oralement au moyen de services d’interprétariat. Si une personne est mineure, la transmission des informations devra être adaptée à son âge et avec la participation de son représentant.
Le texte comprend une vérification d’identité, un contrôle de sécurité, et une vérification préliminaire de l’état de santé et des vulnérabilités. Les autorités utiliseront le répertoire commun d’identité (CIR) et le système d’information Schengen (SIS) et, le cas échéant, les bases de données nationales pour la vérification d’identité. De plus, les données biométriques seront collectées afin d’enregistrer les personnes concernées dans la base de données Eurodac. Le contrôle de sécurité pourra lui couvrir à la fois les sujets du filtrage et les objets en leur possession. Le SIS (système d’information Schengen), l’EES (système sur les entrées/sortie), ETIAS (système européen d’information et d’autorisation de voyage), VIS (système d’information sur les visas), ECRIS-TCN (système européen d’information sur les casiers judiciaires des ressortissants de pays tiers), et les bases de données Europol et Interpol seront consultés. Les bases de données nationales pertinentes pourront également être consultées à cet effet. La vérification préliminaire de l’état de santé et des vulnérabilités pourra quant à elle faire partie de l’examen médical prévu dans le règlement « procédure ». Si besoin, les personnes concernées devront avoir accès à des soins de santé d’urgence et au traitement essentiel pour leurs pathologies. Le personnel médical qualifié pourra décider qu’aucun autre contrôle de santé n’est nécessaire pendant le filtrage. Ce contrôle est aussi l’occasion de détecter tout indice de vulnérabilité, comme une situation d’apatridie, de torture ou des besoins spéciaux (handicap, famille monoparentale, traumatisme, etc.), sans toutefois que le texte ne précise les modalités de cette identification. En cas de signes de vulnérabilité ou de besoins particuliers en matière d’accueil ou de procédure, les sujets concernés devront bénéficier d’un soutien adéquat et en temps utile. Les États devront veiller à ce que le personnel médical qualifié effectue le contrôle sanitaire préliminaire et que le personnel spécialisé des autorités de filtrage, formé à cet effet, effectue le contrôle préliminaire de vulnérabilité. Les autorités nationales chargées de détecter et d’identifier les victimes de la traite et celles de protection de l’enfance seront également impliquées en cas de besoin. Au cours du filtrage, l’intérêt supérieur de l’enfant devra toujours être une considération primordiale. De plus, même dans l’attente d’un représentant, un enfant pourra demander l’asile.
Le règlement prévoit que chaque État membre devra instaurer un mécanisme indépendant pour surveiller le respect du droit de l’UE et du droit international pendant cette étape. Le mécanisme veillera également au respect des dispositions nationales relatives à la rétention de personnes. C’est le seul texte du Pacte prévoyant un tel mécanisme de contrôle des droits fondamentaux. La simple existence de voies de recours judiciaires n’est pas suffisante pour satisfaire aux exigences du texte. Un système d’enquêtes et de renvois vers des procédures civiles et/ou pénales devra être mis en place. Les médiateurs nationaux et les institutions nationales des droits de l’Homme participeront au fonctionnement dudit mécanisme. Le mécanisme pourra également impliquer des organisations internationales et non gouvernementales. Il devra, de plus, établir et maintenir des liens étroits avec l’autorité nationale de protection des données et le contrôleur européen de la protection des données. Enfin, le mécanisme effectuera ses tâches sur la base de contrôles ponctuels et aléatoires.
Les autorités en charge du filtrage devront remplir un formulaire contenant, entre autres, l’identité de la personne, sa nationalité ou son apatridie, la raison pour laquelle le filtrage a été effectué, les informations pertinentes découlant des contrôles, si le sujet a présenté une demande de protection internationale, les informations fournies par le sujet quant à savoir s’il a des membres de sa famille sur le territoire d’un autre État, les renseignements sur les itinéraires parcourus, et toute autre information pertinente, tel que les soupçons de trafic ou de traite d’êtres humains. Les informations contenues dans le formulaire seront mises à la disposition des personnes concernées, sur papier ou support électronique. Avant que le formulaire ne soit transmis aux autorités compétentes (d’asile ou de retour), les sujets ont la possibilité d’indiquer que les informations sont incorrectes. Les autorités de contrôle enregistreront toute indication de ce type dans les « informations pertinentes ».
Les personnes ayant demandé l’asile devront être transférées aux autorités d’asile (avec un possible maintien en rétention pour mener la procédure d’asile comme prévu dans le règlement « Procédures »), ou à l’État correspondant en cas de relocalisation (voir le règlement « gestion »). Les autres seront orientées vers les autorités de retour, avec un possible maintien en rétention. Il n’existe pas de recours contre la décision d’orientation.
Le règlement entrera en vigueur le 20eme jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’UE, mais il ne commencera à s’appliquer qu’après un délai de 24 mois.