Après des trilogues, c’est-à-dire des réunions informelles entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil en marge de la procédure législative, le 14 février 2024, la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen a voté en faveur de plusieurs textes, dont le règlement dit « gestion » du Pacte sur la migration et l’asile. Ce texte, qui devrait être adopté en session plénière en avril, remplacera le règlement Dublin sans en modifier les principales orientations.

Le dernier texte amendé par les colégislateurs (Parlement européen et Conseil) sur la proposition de règlement « gestion » contient des objectifs plus larges que le règlement dit « Dublin III », qu’il a vocation à remplacer. Alors que l’objectif des conventions, puis des règlements « Dublin », était uniquement d’établir les critères et les mécanismes permettant de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, le règlement « gestion » aura aussi pour objectif de définir un cadre commun pour la gestion de l’asile et de la migration dans l’Union européenne (UE), et d’établir un mécanisme de solidarité.

Ainsi, la plupart des règles concernant la détermination de l’État responsable ont été reprises. Les États ont toujours l’obligation d’examiner toute demande de protection internationale sur le territoire de l’un d’eux et l’État où se trouve le demandeur doit commencer la procédure de détermination du responsable sans tarder. Il y a toujours une prise de données biométriques (empreintes digitales, image faciale et d’autres données, conformément au règlement « Eurodac » qui doit être revu) et un entretien personnel avec le demandeur, qui doit être informé de la procédure. Les critères de détermination de l’État membre responsable n’ont globalement pas changé et la clause discrétionnaire, permettant à un pays d’examiner une demande, même si cet examen ne relève pas de sa responsabilité au regard des critères fixés, est aussi préservée. Le critère de responsabilité pour entrée irrégulière par mer, terre ou air reste le dernier critère à étudier, celui qui s’applique en l’absence de possibilité d’appliquer les autres (mais qui demeure l’un des plus appliqués en pratique dans le cadre du règlement Dublin). Ce dernier a, en revanche, connu des modifications : la responsabilité cessera si la demande est enregistrée plus de 20 mois après la date du passage de la frontière (12 mois auparavant), ou 12 mois après la date du débarquement d’une opération de sauvetage. Il est à noter que séjourner dans un État membre pendant une période continue d’au moins 5 mois avant d’introduire sa demande ne fait plus partie des critères. De plus, un critère a été ajouté. Il concerne les demandeurs avec un diplôme ou un certificat de compétences délivré par un État. Ces demandeurs, pourront, sous certaines conditions, voir leur demande examinée par l’État du diplôme ou certificat. Les normes de cessation de responsabilité ont aussi vu leurs délais augmenter. Il sera donc plus difficile pour un pays de se libérer de ses obligations d’examen, de prise et reprise en charge.

Le demandeur est encore tenu d’être présent dans l’État d’enregistrement de la demande en attendant la détermination de l’État responsable et, le cas échéant, pendant la mise en œuvre de la procédure de transfert. Concernant les demandes de prise en charge d’un demandeur à l’État responsable, les délais ont été baissés. S’il existe des motifs raisonnables de considérer le demandeur comme une menace pour la sécurité interne, l’État effectuant le contrôle de sécurité deviendra l’État responsable et les dispositions sur les prises en charge ne s’appliqueront pas, ce qui est une nouveauté. Les demandes de reprise en charge (lorsque plusieurs demandes ont été enregistrées) sont, elles, devenues des simples notifications. Qui plus est, le défaut de notification dans le délai imparti sera sans préjudice de l’obligation de l’État responsable de reprendre la personne concernée.

La décision de transfert doit désormais être notifiée par écrit dans une langue simple, et les possibilités de rétention ont été élargies. Un risque de fuite, et non plus un risque non-négligeable, permettra de placer quelqu’un en rétention, tout comme un motif de sécurité ou d’ordre public. Elle devra être ordonnée par écrit par les autorités administratives ou judiciaires. Si elle est ordonnée par une autorité administrative, les États devront avoir prévu un contrôle juridictionnel rapide. Concernant le recours, les États doivent prévoir une période d’au moins 1 semaine, mais pas plus de 3 semaines, après la notification d’une décision de transfert, pendant laquelle l’intéressé peut exercer son droit à un recours effectif. Enfin, les États devront prioriser les transferts de mineurs non accompagnés, de personnes dépendantes, et des familles. De surcroît, les délais de transfert ont été augmentés.

L’une des grandes nouveautés concerne la mise en place d’un cadre commun de gestion et d’un mécanisme de solidarité. Ce cadre commun oblige notamment les États à favoriser une coopération avec les pays tiers, prévenir et réduire la migration irrégulière et élaborer des stratégies nationales de gestion de l’asile et de la migration. De son côté, la Commission élaborera des stratégies européennes quinquennales, non contraignantes. La Commission adoptera en outre chaque année un rapport évaluant la situation de l’UE, mais aussi des États. Le rapport indiquera par exemple si un pays est confronté à une pression migratoire ou une situation migratoire « significative » (prenant en compte l’effet cumulé des arrivées annuelles actuelles et précédentes) et servira de base aux décisions prises au niveau de l’UE.

La Commission aura aussi la charge d’adopter une décision d’exécution déterminant si un État donné subit une pression, ainsi qu’une proposition d’acte d’exécution du Conseil établissant la réserve de solidarité nécessaire pour faire face à la situation migratoire dans l’année à venir. Sauf si des mesures de solidarité ne sont pas nécessaires, ladite proposition identifiera le nombre total annuel de relocalisations et de contributions financières requises pour la réserve de solidarité au niveau de l’UE, qui devra être d’au moins 30 000 relocalisations et de 600 millions d’euros (à tout moment). Elle fixera également les contributions indicatives annuelles pour chaque pays résultant de l’application de la clé de référence (prenant en considération la population et le PIB national).

Un Forum de solidarité de l’UE de haut niveau, composé des représentants des États membres, sera institué. Ces derniers s’engageront à verser leurs contributions de solidarité pour la création de la réserve. Puis, le Conseil adoptera, sur une base annuelle, avant la fin de chaque année civile, un acte d’exécution pour établir cette réserve.

Le coordinateur européen de la solidarité, qui est une nouvelle figure, convoquera et présidera, au nom de la Commission, un Forum de solidarité technique, chargé de coordonner la mise en œuvre du mécanisme (promouvoir les meilleures pratiques, soutenir les relocalisations et la communication, etc.).

Les contributions pourront être des relocalisations de demandeurs d’asile (la rétention sera aussi possible dans ce cadre) ou de bénéficiaires de la protection internationale ayant obtenu leur statut moins de 3 ans avant l’adoption de l’acte d’exécution du Conseil. L’existence de liens significatifs avec un ou des pays sera prise en compte pour les relocalisations. Dans tous les cas, celles-ci ne seront pas possibles en cas de menace pour la sécurité. De plus, si la personne à relocaliser est bénéficiaire d’une protection internationale, elle ne pourra être relocalisée qu’après avoir consenti par écrit. Les contributions pourront aussi être financières (pour la gestion des frontières, l’accueil, du soutien opérationnel, la phase de pré-départ concernant les voies légales, des actions dans des pays tiers, des retours, le renforcement des capacités, etc.). Ces contributions seront faites au budget de l’UE et devront être utilisées pour la mise en œuvre des actions de la réserve de solidarité. Si le montant n’est pas entièrement alloué, le reste pourra être ajouté au fond « asile, migration, intégration » (FAMI) de l’UE. Les pays seront libres de choisir les mesures ou de les combiner. Ils pourront même choisir des mesures non identifiées dans la proposition de la Commission. Dans ce cas, si ces mesures ne sont pas demandées par les États bénéficiaires au cours d’une année donnée, elles seront converties en contributions financières.

Les bénéficiaires de la réserve seront les États sous pression, qui pourront demander des réductions totales ou partielles des contributions promises.

Il existe également un mécanisme de compensation. Au lieu des relocalisations, les États pourront, dans certains cas, assumer la responsabilité de l’examen des demandes d’un autre État, sans transfert.

Le règlement ne sera applicable qu’après 25 mois suivant son entrée en vigueur (laquelle aura lieu le 20eme jour suivant sa publication au journal officiel de l’UE), et uniquement au territoire métropolitain concernant la France.