Le projet de loi présenté par le gouvernement le 1er février 2023 a été amendé par la Commission des lois du Sénat mi-mars avant que le processus législatif ne soit suspendu. En juin, deux autres propositions de réforme ont été formulées par d’autres groupes politiques, présentant quelques convergences sur les enjeux liés au droit d’asile mais aussi des dispositions manifestement illégales.

Le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023 par le ministre de l’Intérieur, devait poser le cadre d’une réforme du droit des étrangers annoncée de longue date par l’exécutif. Il contenait notamment plusieurs dispositions relatives au droit d’asile (voir notre article de janvier 2023). Le début du processus législatif au Sénat, où le parti Les Républicains dispose de la majorité, a amené de nombreux changements au texte : le projet de loi dans sa version adoptée par la Commission des lois était ainsi marqué par plusieurs durcissements par rapport au texte initial. Ce processus législatif a par la suite été suspendu, en raison du contexte politique tendu lié à la réforme des retraites. Un nouveau projet de loi a d’abord été annoncé pour l’automne, sans que l’on ne sache s’il s’agit de poursuivre le processus législatif du premier texte ou de présenter un projet remodelé. Entre temps, deux groupes politiques ont présenté des propositions de loi sur ce sujet, pour tenter d’influencer les débats à venir : Les Républicains ont déposé un texte le 1er juin, et l’Union centriste un autre texte le 28 juin.

Alors que de nombreuses divergences sont apparues entre les différents groupes politiques, principalement autour des enjeux liés à la régularisation des travailleurs étrangers, une analyse des dispositions relatives au droit d’asile dans ces quatre textes fait apparaitre des orientations politiques relativement proches mais aussi quelques mesures contraires au droit international, au droit européen ou à la Constitution française.

Concernant l’accès à la procédure d’asile, la création de « pôles France Asile » réunissant les services de la préfecture, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et les services d’enregistrement des demandes de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), contenue dans le projet de loi initial, a été approuvée par la Commission des lois du Sénat qui propose cependant une expérimentation d’une durée de 4 ans dans au moins 10 départements. Le Sénat a également ajouté un délai minimal avant la tenue de l’entretien : celui-ci ne pourrait se tenir avant un délai de 21 jours suivant l’introduction de la demande, permettant ainsi aux demandeurs de disposer de ce (court) laps de temps pour compléter sa demande initiale exprimée au sein du pôle France Asile. Malgré cet aménagement, les alertes portant sur l’impact négatif que pourrait avoir cette mesure sur qualité de l’instruction des demandes (voir notre article d’avril 2023) n’ont pas vraiment été prises en compte à ce stade.

Les deux propositions de loi déposées en juin 2023 ne reprennent pas cette proposition, mais celle du groupe Les Républicains apporte une limitation importante au droit de demander l’asile : il est en effet proposé d’instaurer un délai de 15 jours seulement à partir de l’entrée sur le territoire pour déposer une demande d’asile. Cette disposition parait contraire au droit international et européen mais également inconstitutionnelle, en ce qu’elle permettrait de déclarer une demande irrecevable sans examen au fond et donc possiblement de renvoyer vers son pays d’origine une personne menacée. Cette proposition va bien plus loin que le cadre juridique actuel qui pose un délai de 90 jours après l’entrée en France pour formuler sa demande d’asile mais avec une possibilité de solliciter une protection au-delà : les conséquences d’une demande tardive portent aujourd’hui sur le type de procédure appliquée (placement en procédure accélérée) et sur les conditions matérielles d’accueil (que l’OFII peut refuser dans cette hypothèse).   

Concernant l’instruction des demandes, le projet de loi initial déposé en février 2023 contenait un recul important en matière de garanties procédurales en consacrant les jugements à juge unique pour l’ensemble des situations (sur les enjeux de la collégialité des formations de jugement, voir notre article d’octobre 2022). Cette proposition, qui n’a pas été remise en question par la Commission des lois du Sénat lors de son examen du projet de loi en mars 2023, figure également dans les propositions déposées par Les Républicains et l’Union Centriste en juin 2023.

En matière d’accueil des demandeurs d’asile, la version du projet de loi amenée par le Sénat prévoit de rendre automatique les hypothèses de refus ou de retrait des conditions matérielles d’accueil (CMA) qui sont actuellement facultatives (avec en pratique une application quasi systématique par l’OFII). Cette disposition est contraire au droit européen, la directive Accueil prévoyant en tout état de cause un examen individuel des situations avant toute décision de refus ou de retrait des CMA. Sur le volet de l’accueil, les deux propositions de loi présentées fin juin étendent les hypothèses de retrait des CMA, là aussi en contradiction avec le droit européen qui énonce une liste limitative de possibilités sur ce sujet. La proposition de loi des Républicains énonce par ailleurs l’idée de placer les ressortissants de pays d’origine sûrs (POS) en rétention pendant le temps de l’examen de leur demande. En plus d’être, là aussi, contraire au droit européen qui encadre strictement les possibilités d’enfermement des demandeurs d’asile, cette proposition parait irréaliste d’un point de vue logistique puisqu‘elle reviendrait à priver de liberté plusieurs milliers de personnes (19 181 premières demandes de personnes originaires de POS en 2022 par exemple) en plus de celles déjà concernées par la rétention. Afin de contourner les incompatibilités de leurs propositions avec les normes juridiques supérieures, Les Républicains et l’Union Centriste ont par ailleurs déposé des propositions de loi visant à réviser la constitution, à prévoir un référendum sur ces sujets ou encore à mettre fin à la supériorité du droit européen sur ces sujets (remettant ainsi en cause la construction juridique à l’origine même de l’Union européenne).