La collégialité à la Cour nationale du droit d’asile, une garantie procédurale essentielle pour les demandeurs d’asile
L’une des mesures annoncées dans le cadre d’un futur projet de loi sur l’asile et l’immigration pourrait systématiser les décisions à juge unique auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La collégialité du jugement garantit pourtant une meilleure prise en compte des craintes en cas de retour à travers la confrontation des points de vue et l’étude approfondie des demandes, dans un domaine où les conséquences d’une décision inadaptée peuvent être vitales pour les requérants.
Le chef de l’Etat a annoncé le 15 septembre 2022 qu’un projet de loi sur l’asile et l’immigration serait déposé « dès début 2023 » suite à un débat au Parlement et une concertation avec les principaux acteurs de ce secteur. La lecture d’interviews dans la presse ou des premiers documents disponibles, permet de prendre connaissance de quelques-unes des mesures envisagées. Parmi elles, il est proposé de réformer le mode de fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), juridiction administrative qui rend plus de 50 000 décisions par an après examen des recours formés par les demandeurs d’asile contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA).
Outre la création au sein de la CNDA de chambres territoriales, qui vise à réduire les délais de traitement des dossiers en répondant à un objectif de proximité, il est envisagé de généraliser le recours au juge unique à la CNDA. L’objectif est de répondre à une réduction des délais de traitement et des coûts.
Le principe de collégialité est consacré de façon général par le code de justice administrative, qui prévoit que « les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s'il en est disposé autrement par la loi ». A la CNDA, il réside dans le fait qu'une affaire soit jugée par un organisme composé d’au moins trois juges, siégeant et délibérant ensemble. Le cadre légal actuel prévoit que la CNDA statue en formation collégiale dans un délai de cinq mois après sa saisine – délai qui n’est cependant pas contraignant. Le président de la formation de jugement est un magistrat nommé par le vice-président du Conseil d’Etat ou par le premier président de la Cour des comptes ou par le ministre de la Justice. Il siège avec deux juges assesseurs, l’un nommé par le vice-président du Conseil d’Etat et l’autre par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le Conseil constitutionnel veille à l’application de ce principe de collégialité lorsqu’il examine la conformité d’une loi au bloc de constitutionnalité, tandis que le Conseil d’État a reconnu la « particulière importance que revêt, pour les demandeurs d'asile, la garantie d'un examen de leur recours par une formation collégiale telle qu'instituée en principe par le législateur » (décision n°440717, CE du 8 juin 2020).
Le recours à la procédure à juge unique est possible de manière dérogatoire depuis 2016 lorsque les dossiers sont placés en procédure accélérée – notamment lorsque les demandeurs d’asile proviennent de pays considérés comme sûrs, ou lorsque les dossiers ont été jugés irrecevables par l’OFPRA. Dans cette procédure, le délai est considérablement réduit car le juge unique doit statuer dans les cinq semaines. Cette pratique devait rester exceptionnelle. Or, depuis la mise en application de la loi, environ la moitié des affaires portées devant la Cour est aujourd’hui tranchée par un juge unique. Les décisions rendues à juge unique concernaient 56,09% de l’ensemble des décisions en 2018, 52,2% en 2019, 44,91% en 2020 et 40,88% en 2021. Une partie de ces décisions peuvent être prises sans même la tenue d’une audience, le juge unique ayant la faculté de statuer sans convoquer le demandeur d’asile en audience sur les dossiers ne présentant « aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides ». En 2021, les ordonnances ont représenté presque un tiers des décisions : 30,65 % des décisions (soit 20 967 décisions sur 68 403 affaires).
En 2018, le taux de protection en formation collégiale s’élevait à 32% contre 19,4% par le juge unique, et respectivement à 35% et 23% l’année suivante. Pour les années 2020 et 2021, les données détaillées ne sont pas disponibles. Malgré une comparaison difficile en raison du contenu a priori différent des dossiers délivrés au juge unique, force est de constatés que les juges réunis en formation collégiale sont plus protecteurs.
Bien que les textes prévoient la possibilité pour le juge unique de renvoyer affaire au collégial, cette faculté n’est pas utilisée en pratique.
Or, la collégialité est un élément clé pour une justice équitable. La procédure limite les mauvaises décisions par la confrontation des points de vue dans le cadre d’un contentieux susceptible d’exposer des demandeurs d’asile à des risques conséquents en cas de mauvaise décision.
La procédure contentieuse garantit davantage l'indépendance et l'impartialité grâce aux profils variés des magistrats. Le président de la formation de jugement peut en effet être un juge judiciaire ou administratif habitué des procédures écrites et non orales et surtout, n’est pas nécessairement spécialisé dans l’asile contrairement aux représentants du HCR. Ces derniers sont parfois les seuls de la formation de jugement à avoir la maitrise juridique et géopolitique des motifs et menaces allégués par les requérants.
La collégialité est également un rempart contre la pression des chiffres : la réunion de trois juges permet plus facilement au requérant d’être suffisamment interrogé et écouté.
Si l’on se place du point de vue des juges, la prise de décision en formation collégiale permet de diminuer la pression en ne précipitant pas une prise de décision, quitte à ce que soit renvoyé un dossier à une audience ultérieure. A contrario, un juge unique pourrait plus facilement affaiblir la qualité de la justice rendue en pressant le déroulé des affaires.
La généralisation du juge unique à la CNDA constituerait donc un affaiblissement important du droit au recours des demandeurs d’asile, et donc de l’ensemble de notre système d’asile dont l’efficacité repose sur la mise en place de garanties suffisantes pour éviter de passer à côté d’une crainte de persécution avérées.