Règlement Dublin : une faible effectivité qui se confirme
Le règlement européen Dublin, qui fixe les critères de détermination de l’État responsable d’une demande d’asile, est mis en œuvre pour de nombreux demandeurs d’asile en France. La publication récente des statistiques 2023 fait cependant apparaitre un taux de transfert depuis la France vers d’autres Etats européens de seulement 5,5%, en baisse continue depuis 2019.
Le règlement européen dit « Dublin III », dont la dernière version a été adopté en 2013, fixe des critères de détermination de l’État responsable d’une demande d’asile enregistrée dans un pays européen. Les critères les plus utilisés sont ceux qui font porter la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile à l’État par lequel la personne est arrivée et/ou a été enregistrée pour la première fois : en pratique, cela revient à faire peser une charge disproportionnée sur les pays où l’on constate le plus d’entrées irrégulières vers l’Europe (notamment l’Espagne et l’Italie).
Lorsque la France estime qu’elle n’est pas responsable de l’examen d’une demande, au regard des critères de ce règlement Dublin, elle entame alors une procédure de détermination de l’État responsable (marquée par des délais variables selon les situations). Si elle n’aboutit pas, le demandeur pourra alors demander à nouveau l’asile en France.
Parmi les primo-demandeurs d’asile enregistrés par les préfectures en 2023, 36 917 étaient sous procédure Dublin à la fin de l’année d’après le ministère de l’Intérieur, soit 25,4% du total des premières demandes. Le nombre de placement au cours de l’année n’est pas disponible pour 2023. De con côté, l’agence européenne Eurostat – dont les données sont fournies par les autorités nationales – comptabilise 49 925 requêtes adressées par la France à d’autres États européens (+7% par rapport à 2022), dont 32 470 ont donné lieu à un accord.
Sur l’ensemble de l’année 2023, 2 739 transferts ont effectivement été mis en œuvre : le taux de transfert au regard du nombre de requêtes est donc de 5,5%, l’un des plus bas jamais constaté (deux fois moindre que celui de 2019). Si l’on rapporte les transferts aux accords donnés par les États requis, le taux est de 8,4%, loin des objectifs gouvernementaux (il était prévu d’atteindre 20% en 2023, comme l’année précédente, d’après les annexes au projet de loi de finances).
Le gouvernement indique à ce titre dans un document budgétaire publié en avril 2024 que « la capacité à mener à bien les transferts Dublin est (…) fortement entravée par la décision unilatérale de l’Italie de suspendre les transferts vers son territoire ». En effet, l’Italie a adressé une « lettre circulaire » en date 5 décembre 2022, à l'ensemble des services des autres États chargés de l'application du règlement Dublin, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces États qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie à compter du 6 décembre 2022, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. Les autorités françaises ont cependant continué à placer les demandeurs sous procédure Dublin en vue d’un transfert vers l’Italie avec un nombre record de 17 863 demandes adressées par la France à l’Italie en 2023 (contre 10 184 l’année précédente, et 16 360 lors du précédent record datant de 2017). Le taux d’accord de l’Italie n’a pas diminué significativement (58% en 2023, contre 62 à 66% les trois années précédentes) mais les juridictions administratives ont largement remis en cause la légalité de ces décisions au regard de l’annonce de suspension des transferts formulée par l’Italie évoquée précédemment.
En 2023, la France a principalement mis en œuvre des transferts vers l’Allemagne (909 transferts, qui représentent 33% du total des transferts Dublin depuis la France), l’Espagne (584 / 21%), l’Autriche (355 / 13%) et la Belgique (311 / 11%), ces trois pays représentant ainsi plus des trois quarts des transferts. Seules 9 personnes ont été transférées vers l’Italie, qui était pourtant l’un des principaux pays vers lequel étaient menés les transferts les années précédentes (23% du total des transferts effectifs menés par la France en 2022).
Les principaux pays de provenance des 1 682 personnes transférées au titre du règlement Dublin vers la France en 2023 sont l’Allemagne (615 transferts, qui représentent 37% du total des transferts Dublin vers la France), la Suisse (217 / 13%) et les Pays-Bas (205 / 12%).
Le même constat se répète ainsi année après année : pour plus de 9 personnes sur 10 placées sous procédure Dublin, l’application du règlement mobilise des moyens considérables et les place dans des situations d’attente et de précarité prolongées, pour n’aboutir qu’à un report de leur demande d’asile, dont la France redevient finalement responsable. En 2023, les préfectures ont ainsi enregistré 16 184 demandes d’asile enregistrées sous procédure Dublin les années précédentes et « éteintes » en 2023 (contre 10 424 en 2022). Le manque de données publiques ne permet toujours pas d’analyser en détail les raisons multiples ayant entraîné ces requalifications (refus des États requis, annulations de décisions de transfert par les tribunaux administratifs, « fuite » des demandeurs d’asile, clause de souveraineté etc.).
Malgré les défaillances documentées du règlement Dublin, le législateur européen a souhaité reconduire un système similaire dans le Pacte sur la migration et l’asile adopté définitivement par le Conseil de l’UE le 14 mai 2024 et dont le règlement Gestion reprend les principales orientations (voir le décryptage de ce nouveau règlement dans notre article de mars 2024).
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