Dans son rapport annuel sur l’asile, Forum réfugiés a analysé les données disponibles concernant l’accueil des demandeurs d’asile en 2023. Elles confirment qu’une part croissante des demandeurs d’asile est privée de toute aide matérielle, tandis que seuls 61% de ceux qui en bénéficient sont hébergés dans un lieu dédié à leur situation.

Depuis 2001, Forum réfugiés publie un État des lieux de l’asile en France et en Europe qui permet de documenter et analyser la mise en œuvre du droit d’asile. Ce rapport unique permet notamment d’étudier les conditions dans lesquels les demandeurs d’asile sont accueillis en France. La dernière édition de cet ouvrage, publiée le 20 juin 2024, révèle plusieurs données qui confirment les limites du système français dans ce domaine.

Après une forte baisse ces dernières années, le nombre de bénéficiaires de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) fin 2023 est en légère hausse par rapport à l’année précédente mais demeure bien en deçà du niveau constaté il y a peu (fin 2018 : 141 968 bénéficiaires / fin 2019 : 151 386 / fin 2020 : 145 253). À la fin du mois de décembre 2023, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) versait l’ADA à 102 196 personnes au titre de la demande d’asile, soit 1,6% de bénéficiaires en plus par rapport à l’année précédente (102 598). Si l’on rapporte le nombre de bénéficiaires de l’ADA au nombre de personnes dont la demande d’asile est en instance à cette date (146 175 d’après Eurostat), la part de demandeurs d’asile touchant l’ADA est relativement stable entre fin 2022 (70,4%) et fin 2023 (69,9%), mais bien moindre que sur la période 2018-2020 où elle dépassait les 90%.

Les données sur l’ADA permettent d’analyser l’attribution des conditions matérielles d’accueil (qui comprennent normalement cet élément, a minima, même en l’absence d’hébergement disponible). Ces données confirment les pratiques de l’OFII en matière de retrait ou suspension des conditions matérielles d’accueil constatées depuis quelques années, avec une application stricte des hypothèses prévues par la loi, qui mène à la privation de toute aide matérielle pour plusieurs dizaines de milliers de demandeurs d’asile : ils étaient donc environ 40 000 dans cette situation fin 2023. La mise en place du schéma national d’accueil en 2021 constitue l’un des facteurs d’explication, les personnes qui refusent l’orientation vers un lieu désigné en dehors de la région parisienne ou qui ne s’y rendent pas étant privés des bénéfices des conditions matérielles d’accueil.

Dans les lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile, la fluidité demeure encore un enjeu majeur. En pratique, seule une partie du parc d’hébergement financé par l’État pour les demandeurs d’asile accueille ce public. On constate en effet qu’une partie des places ne sont pas mobilisables, tandis qu’une autre est occupée par un public qui n’est pas demandeur d’asile.

Les données détaillées de l’OFII permettent de connaître précisément l’occupation des différents lieux pour demandeurs d’asile (hors CAES) et de comparer cette présence au total de places. On constate ainsi qu’au 31 décembre, l’OFII comptabilisait 61 204 demandeurs d’asile hébergés dans les CADA et HUDA, ce qui ne représente que 63,5% des 96 412 places qu’il recense et 61,4% des places que le ministère de l’Intérieur considère comme ouvertes et financées (hors CAES) Si l’on prend pour hypothèse qu’une partie importante des 5 474 places en CAES que comptabilise l’OFII sont occupées par des demandeurs d’asile, on peut estimer que le dispositif national d’accueil hébergeait environ 65 000 demandeurs d’asile au 31 décembre 2023.

Au regard de la part importante de déboutés et réfugiés au sein des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile (en présence autorisée ou indue), où ils représentent 36,5% des personnes accueillies, l’enjeux majeur consiste à favoriser la sortie de ce public. Cela rejoint principalement la problématique de l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale et leur accès au logement.

Si l’on rapporte le nombre de demandeurs d’asile effectivement hébergés dans le DNA au 31 décembre 2023 (61 204) à celui du nombre de personnes dont la demande est enregistrée par les autorités françaises à cette date et toujours en cours d’instruction (146 175), la couverture des besoins n’est que de 41,9% (contre 40,8% l’année précédente sur la même base de calcul) : près de 85 000 demandeurs d’asile enregistrés en France ne résidaient donc pas dans un hébergement dédié au 31 décembre 2023. Une partie d’entre elle, notamment les personnes sous procédure Dublin ayant poursuivi leur parcours vers un autre État européen, ne résidait cependant plus en France à cette date, et une autre partie disposait probablement de solutions d’hébergement et ne sollicitaient donc pas d’aide de l’OFII dans ce domaine.

Si l’on ne prend en compte que les demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil au 31 décembre 2023, les autres ne pouvant être orientés vers un lieu d’hébergement du DNA, la couverture des besoins est de 61% d’après les documents budgétaires.

Les données portant sur cinq structures de premier accueil (SPADA) gérées par Forum réfugiés révèlent que seules 27% des 21 402 personnes accueillies après leur passage en GUDA ont été orientées vers l’hébergement.  

Fin 2023, il y avait ainsi 41 394 demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil et percevant ainsi l’ADA mais sans être hébergés au sein du DNA (42 251 fin 2022). L’ADA additionnelle n’a pourtant été versée en moyenne qu’à 29 096 personnes en 2023.

La situation dégradée de l’accueil des demandeurs d’asile en France est régulièrement soulevée devant les juridictions de pays européens à l’appui d’une demande d’annulation d’une décision de transfert au titre du règlement Dublin. Cet argument est parfois retenu par les magistrats : en mars 2024, un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers belge a annulé le transfert d’un demandeur d’asile vers la France au vu de « défaillances systémiques » du dispositif d’accueil portant le risque que le demandeur d’asile soit traité de manière incompatible avec ses droits fondamentaux (Décision n° 303 394 du 19 mars 2024). 

La faible couverture des besoins d’hébergement amène la majorité des demandeurs d’asile à être domiciliés et accompagnés tout au long de leur procédure d’asile au sein des SPADA. De manière générale, la SPADA demeure le dispositif central et l’interlocuteur physique privilégié des demandeurs d’asile non hébergés.

L’ensemble des données et sources utilisées pour cet article sont détaillées dans le rapport « État des lieux de l’asile en France et en Europe » publié le 20 juin 2024 et disponible sur notre site : https://www.forumrefugies.org/j-achete-solidaire/l-asile-en-france-et-en-europe-etat-des-lieux-2024