À l’heure des tractations sur la transposition du Pacte européen sur la migration et l’asile dans le droit national des Etats membres de l’Union européenne, le Conseil européen pour les réfugiés et des exilés (ECRE) publie une note de plaidoyer alertant sur les conséquences du nouveau règlement Procédure sur les droits fondamentaux des femmes et des filles en demande d’asile.

Le règlement dit « Procédure » (2024/1348), prévoyant une procédure commune en matière de protection internationale, a été adopté en mai 2024 dans le cadre du Pacte sur la migration et l’asile de l’Union européenne. Il fragilise les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en général et exacerbe les vulnérabilités préexistantes des filles et des femmes en particulier. Dans une note de plaidoyer, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), dont Forum réfugiés est membre, propose un comparatif de l’exercice des droits des demandeuses d’asile sous la directive 2013/32/UE applicable actuellement, et le nouveau règlement qui sera applicable à partir de la mi-2026.

L’accès à entretien d’asile individuel, confidentiel avec des évaluateurs et interprètes formés à la détection des vulnérabilités et des violences de genre sont autant de garanties procédurales jusqu’ici inégalement respectées par les Etats-membres. Loin d’y remédier, certaines dispositions du règlement viennent davantage fragiliser ces garanties procédurales.

L’élargissement des conditions de traitement de demandes d’asile sans entretien individuel préalable - pour une demande de réexamen sans élément nouveau ou une demande considérée comme admissible si une protection a été accordée dans un autre Etat membre - limite les possibilités de détection des besoins de protection des demandeuses qui se trouveront dans ces situations. Si le droit d’être informé(e) sur le droit d’asile et sur la procédure est réaffirmé par le Pacte et décliné par les documents d’information de l’Agence pour l’asile de l’Union européenne (EUAA), aucune mention n’est faite sur le droit des femmes victimes de violences à être protégées sur ce fondement.Le droit à la confidentialité au cours de l’entretien d’asile est certes renouvelé par le règlement, mais ECRE met en garde sur les conditions réelles et logistiques de l’entretien d’asile, souvent réalisé dans des lieux surpeuplés et peu propices à la délivrance d’un récit de traumatismes et de violences pour les demandeuses d’asile.

La possibilité de réaliser l’entretien d’asile avec un évaluateur et un interprète de même sexe reste une disposition limitée par “la mesure du possible”. Des considérations logistiques et de ressources humaines dans les services d’asile seront préjudiciables pour les demandeuses d’asile, qui peuvent être brimées dans le récit par la honte et la méfiance. Le droit d’être assisté(e) et représenté(e) juridiquement ainsi que le droit à un recours effectif contre une décision négative à la demande d’asile restent limités par le règlement, notamment dans le cadre où le recours est considéré comme “n’ayant pas de perspectives tangibles de succès”.

Dans le cadre de la procédure à la frontière, la procédure accélérée est automatisée pour les demandeurs d’asile issus d’un pays avec un taux de protection inférieur ou égal à 20% dans l’Union européenne. ECRE démontre les risques de ce décalage entre le critère du taux de protection et la réalité vécue par les requérantes dans leurs pays d’origine. À titre d’exemple, ce critère mènerait automatiquement au traitement des demandes d’asile de ressortissantes pakistanaises en procédure accélérée, en dépit d’une importante documentation des discriminations et violences subies par les femmes et les filles au Pakistan.

Par ailleurs, les notions de pays d’origine sûr et de pays tiers sûrs font l’objet d’un recours élargi par le règlement Procédure. Le concept de pays d’origine sûr permet à l’Etat en charge de la demande d’asile d’en faire l’examen de manière accélérée, la demande étant “susceptible d’être infondée”. Pour rappel, la liste française des pays d’origine sûrs, fixée par le conseil d’administration de l’OFPRA, comprenait le Bénin, le Ghana et le Sénégal jusqu’à la décision de leur retrait par le Conseil d’Etat en 2021, au regard notamment des risques de persécution des membres de la communauté LGBTQIA+ et de la pratique persistante des mutilations génitales féminines. De plus, plusieurs États-membres ont régulièrement recours à cette notion en isolant et désignant certains territoires ou régions du pays d’origine comme sûrs. L’arrêt C-406/22 du 4 octobre 2024  de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) est venu encadrer cette pratique, en affirmant que “le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un Etat membre désigne un pays tiers comme pays d’origine sûr seulement pour une partie de son territoire”. Postérieure à l’adoption du Pacte, cette jurisprudence n’est pas prise en compte par le règlement, qui maintient la possibilité d’exceptions de certains territoires du pays d’origine qui serait considéré comme sûr. Ainsi, le manque d’information relative à la situation spécifique des femmes et des filles dans l’évaluation du statut d’un pays ou d’une région comme pays d’origine sûr accroît irrémédiablement les risques de violation du principe de non-refoulement à l’encontre des femmes et des filles.

Enfin, le concept de pays tiers sûr prévoit quant à lui le renvoi d’un demandeur d’asile vers un pays en dehors de l’Union européenne (qui n’est pas son pays d’origine), sans examen au fond de sa demande. Pour déterminer ce statut de pays sûr, le règlement Procédure ne se base plus sur la convention de Genève de 1951, mais sur la notion de “protection effective”. Elle est considérée comme atteinte lorsque la personne est autorisée à se maintenir sur le territoire du pays tiers, a accès à des moyens de subsistance suffisants pour maintenir un niveau de vie adéquat, a accès aux soins de santé et aux traitements essentiels et à l’éducation. Ces droits fondamentaux sont mesurés à l’aune des conditions du pays tiers en question. Le pays tiers peut également être considéré comme sûr avec des exceptions sur des territoires ou des catégories de personnes spécifiques et identifiables. ECRE souligne que cette disposition accroît les risques d’exposition des femmes et des filles à des risques de violences basées sur le genre, particulièrement dans les zones en proie aux conflits armés. Elle ignore les vulnérabilités et les besoins spécifiques des minorités.