Quelle mise en œuvre en France du Pacte européen sur la migration et l’asile ?
Alors qu’une réforme d’ampleur du cadre juridique de l’asile à l’échelle européenne a été adoptée en mai 2024, à travers les textes constituant le Pacte sur la migration et l’asile, sa mise en œuvre ne doit intervenir pour l’essentiel qu’en 2026. D’ici fin 2024, les États doivent établir un plan national en ce sens adressé à la Commission, ce qui pose de nombreuses questions quant à l’adaptation du cadre juridique français.
L’adoption définitive du Pacte sur la migration et l’asile de l’Union européenne au printemps 2024, après plusieurs années de négociations, constitue le point de départ d’un long processus devant mener à la mise en œuvre de ces dispositions par les États membres.
Une période de transition de deux ans est prévue pour l’essentiel des textes composant ce Pacte, qui devront être appliqués à partir de l’été 2026. La Commission européenne a publié en juin 2024 un plan commun de mise en œuvre (voir notre article de juillet 2024 à ce sujet) qui précise les attentes vis-à-vis des États membres dans l’élaboration de leur plan national de mise en œuvre, notamment imposé par les règlements dits « Gestion » et « Procédure ».
Dans un premier temps, la France comme les autres États est tenue d’envoyer à la Commission un projet de plan national de mise en œuvre en octobre 2024, le plan national définitif devant être transmis au plus tard le 12 décembre 2024. Ces démarches doivent s’appuyer sur une structure nationale de coordination pilotée par un coordinateur national, et les États sont invités par la Commission « à solliciter et à associer les partenaires sociaux, les autorités locales et régionales et d’autres parties prenantes, en particulier les représentants d’organisations de la société civile, au moyen de consultations et d’échanges réguliers ».
Au-delà de ces modalités d’élaboration du plan national, quels sont les points clés que les autorités devront étudier pour décliner le Pacte et son ensemble complexe de plusieurs centaines de pages à l’échelle nationale ?
Concernant la réforme du règlement Eurodac, la prise d’empreinte à partir de 6 ans (contre 14 ans auparavant) nécessitera une formation spécifique des agents préfectoraux pour réaliser cette collecte de manière adaptée aux enfants, comme exigé par le règlement. L’usage de la coercition pour le recueil de l’ensemble des données biométriques devrait être écarté dans le plan national, au regard notamment des exigences constitutionnelles portant sur la liberté individuelle.
La mise en œuvre du nouveau règlement sur le filtrage et la refonte des normes sur les procédures d’asile qui l’accompagne est entourée de nombreuses interrogations portant sur les personnes à qui ce dispositif sera appliqué (uniquement celles appréhendées au moment du franchissement des frontières ou également sur le territoire).
Aux frontières extérieures, le dispositif de filtrage aura probablement pour principale conséquence une adaptation du cadre actuel régissant les zones d’attentes. Les autorités françaises devraient ainsi être amenées à repenser les durées d’enfermement, la nature des décisions administratives pendant cette période, les modalités de recours, le dispositif d’accompagnement juridique et social et les exigences en matière d’identification des vulnérabilités. Cela devrait constituer une occasion de revoir les conditions matérielles d’accueil dans ces lieux au regard de ce nouveau contexte.
Les autorités devront faire des choix importants quant à l’usage de mesures de privation de liberté aux différents stades du parcours des personnes étrangères, à éviter notamment pour une mise en œuvre du d’asile conforme aux recommandations du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en la matière. Elles devront par ailleurs déterminer qui sera en chargé du mécanisme indépendant pour surveiller le respect des droits fondamentaux dans le cadre de ce nouveau dispositif.
En matière d’accueil des demandeurs d’asile conformément aux dispositions de la nouvelle directive dans ce domaine, mais aussi au regard des exigences figurant sur plusieurs autres textes, le plan national devra préciser comment seront évaluées les vulnérabilités (le nouveau cadre étant plus exigeant en la matière) et comment les besoins particuliers seront pris en compte. Le cadre régissant l’accès au travail des demandeurs d’asile devra être revu pour assurer l’effectivité de ce droit, au regard des nouvelles dispositions avec lesquels notre droit actuel n’est pas conforme. Il faudra par ailleurs prévoir un dispositif d’apprentissage de la langue dès la demande d’asile, comme prévu par le Pacte.
Des choix devront être fait également concernant l’adaptation des procédures d’asile, conformément au nouveau règlement sur ce sujet. Afin de respecter les délais contraints de ces différentes phases dans la mise en œuvre du règlement, il sera nécessaire de prévoir des moyens humains et matériels suffisants, ainsi qu’une montée en compétences via la formation des personnes impliquées dans cette procédure. Plusieurs dispositions du nouveau règlement, sur l’extension des cas d’irrecevabilité et l’assouplissement de la notion de « pays tiers sûr », pourraient être considérés inconstitutionnels et donc non applicables en France. Le règlement Procédure porte par ailleurs plusieurs reculs concernant le caractère suspensif du recours en matière d’asile, qui parait cependant inadaptée à la structure institutionnelle française et à la répartition des compétences entre les autorités administratives et juridictionnelles de l’asile.
Sur le dispositif de répartition des demandeurs au sein de l’Union européenne, un règlement dit « Gestion » remplacera le règlement Dublin tout en en conservant les principales orientations. Le plan national devra notamment indiquer comment seront appliquées les quelques améliorations relatives à la prise en compte des liens des demandeurs avec les États membres. Les autorités devront par ailleurs fixer le délai de recours contre les décisions de transfert, avec une marge de manœuvre comprise entre 1 et 3 semaines par le nouveau règlement.
Le plan national pourra préciser les engagements de la France concernant les mécanismes de solidarité (relocalisation et réinstallation). En fin, un pan entier du plan devra préciser comment seront prises en compte les vulnérabilités particulières des demandeurs d’asile dans la procédure de filtrage mais aussi au cours de la procédure d’asile.