Deux semaines après l’invasion russe en Ukraine, le Parlement ukrainien a adopté deux lois qui criminalisent la collaboration et prévoient des sanctions pour celle-ci. Depuis, des activités civiles légitimes menées dans les territoires sous occupation entraînent de lourdes condamnations. L’organisation Human Rights Watch analyse dans un rapport publié en décembre 2024 l’impact de ces lois sur divers droits fondamentaux, après 2 ans d’application.

Depuis février 2022, une guerre totale est menée par la Russie contre l’Ukraine. Alors que le conflit est en dents de scie, Moscou progresse lentement et douloureusement dans l'est de l'Ukraine. L’impact est désastreux sur la vie civile : l’ONU dénombre près de 13 000 morts depuis le mois de février 2022. Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 3,7 millions d'Ukrainiens ont été déplacés à l'intérieur du pays, et près de 7 millions d'Ukrainiens ont fui à l’étranger.

En réaction à l’invasion russe, le Parlement ukrainien a adopté, le 3 mars 2022, deux lois dans Code pénal, qui criminalisent la collaboration et prévoient des sanctions pour celle-ci.

Selon un rapport publié par l’organisation Human Right Watch, ces définitions de la collaboration sont excessivement larges et vagues, et criminalisent sans fondement, dans les zones occupées, l’exercice d'un large éventail d'emplois du secteur public, ou des activités nécessaires au maintien des services civils courants et nécessaires à leurs compatriotes, liées la santé, l’enseignement, ou les services publics administratifs. Les sanctions prévues pour les différents types d’actes dits « de collaboration » vont de l’interdiction d’exercer certaines professions ou la fonction publique jusqu’à 15 ans, en passant par les travaux forcés et la saisie des biens, jusqu’à la réclusion à perpétuité.

Or, les civils qui ne sont pas partis et qui continuent à travailler, sont contraints de dialoguer avec les autorités d'occupation russes pour se protéger et protéger leurs familles. Un juge de la Cour suprême ukrainienne a déclaré à Human Rights Watch : « Pour dire les choses simplement, ils sont punis pour ne pas avoir fui leur domicile. »

Les poursuites peuvent aussi s’exercer sur les civils dans les villes libérées de l’occupation russes. Human Rights Watch dénonce des poursuites et des sanctions arbitraires dans ces zones désoccupées d'Ukraine, ainsi que les territoires occupés par la Russie, ou les accusés sont jugés par contumace (mais sans respecter les garanties de procédure régulière requises pour garantir l'équité de ces procédures en vertu du droit international). Des Ukrainiens sont poursuivis pour des actes dénués de tout contenu criminel et n'ayant causé aucun préjudice public, effectuant des travaux ordinaires pour leurs concitoyens sous occupation ou accomplissant d'autres activités nécessaires à leur survie.

Depuis mars 2022, les autorités ukrainiennes auraient ouvert 8 894 affaires pénales, condamnant certains à de lourdes peines de prison, pour « actes de collaboration » ; et 1 388 procédures pour « aide à un État agresseur ». Les Ukrainiens sont soumis à un processus de filtrage mené par les services de sécurité ukrainiens. La police fait pression sur les employeurs pour qu’ils ne les embauchent pas, ou qu’ils soient licenciés.

Les lois anti-collaboration ukrainiennes ne répondent pas aux critères de droit international des droits de l'homme notamment au regard de l’accès à une procédure régulière. Human Rights Watch et d'autres organisations montrent que le taux de condamnation dans les affaires de collaboration est proche de 100 %. Selon l’ONG, les lois anti-collaboration actuelles sont contre-productives, car elles encouragent les Ukrainiens à abandonner les communautés occupées. Cela rend plus difficile « le rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et la réintégration des populations libérées. ».