Le niveau de la demande d’asile des Ukrainiens n’a cessé d’augmenter ces derniers mois, faisant même de l’Ukraine le principal pays d’origine des primo-demandeurs en préfecture en 2024. Comment expliquer cette tendance, alors que les ressortissants d’Ukraine bénéficient depuis 2022 du statut inédit de protection temporaire qui offre des droits proches de ceux d’un réfugié ?

En 2024, l’Ukraine était le principal pays d’origine des personnes ayant enregistré une première demande d’asile auprès des préfectures. D’après les données du ministère de l’Intérieur, ils étaient ainsi 13 353 dans cette situation et, pour la première fois depuis six ans, l’Afghanistan n’était plus le premier pays d’origine des primo-demandeurs. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) enregistrait encore de son côté plus d’Afghans dans la demande d’asile, une partie d’entre eux s’étant présentés en préfecture avant 2024 mais ont vu par la suite leur demande basculer sous la responsabilité de la France suite à l’échec d’une procédure Dublin.

La situation de conflit que connait l’Ukraine depuis l’invasion russe en février 2022 pourrait naturellement expliquer la sollicitation du système d’asile par des ressortissants de ce pays. C’est pourtant pour éviter une trop grand pression sur les instances en charge de la mise en œuvre du droit d’asile dans les pays européens que le Conseil de l’Union européenne a activé pour la première fois en mars 2022 le dispositif de protection temporaire (voir notre article de mars 2022), dont la prolongation a pour l’instant été annoncée jusqu’à mars 2026.

Les réfugiés d’Ukraine peuvent ainsi obtenir rapidement un statut de protection temporaire qui permet un accès rapide à un titre de séjour ouvrant des droits globalement similaires à ceux d’une personne bénéficiant d’une protection au titre de l’asile (droit au travail, accès aux aides sociales etc.), tout en évitant de passer par une procédure de demande d’asile qui peut prendre plusieurs mois (pendant laquelle le statut de demandeur d’asile offre des droits limités). D’après l’agence statistique européenne Eurostat, 58 530 adultes bénéficiaient de la protection temporaire en France fin 2024 (un chiffre qui n’a cessé de décroitre après un pic à 72 180 adultes fin août 2022). A cette date, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) versait une allocation à 47 118 bénéficiaires de la protection temporaire – BPT - (mineurs inclus) contre 64 622 l’année précédente : l’allocation étant versée sous condition de revenu, on peut suppose que de plus en plus de réfugiés d’Ukraine sont devenus autonomes financièrement au fil du temps, ce qui explique la baisse du nombre de bénéficiaires de l’allocation.

Une circulaire du 4 décembre 2024 sur l’accueil et l’insertion de ces BPT signée par le Premier ministre indique qu’à cette date, près de 85 000 d’entre eux étaient accueillis par la France, tandis que le dispositif d’accueil avait permis d'accueillir plus de 15 000 enfants à l'école, de faire accéder 30 000 personnes à un logement et 20 000 travailleurs à un emploi. Ce texte a pour objet d’inciter les services de l’État à poursuivre ces efforts à travers trois objectifs : accélérer l’accès au séjour des bénéficiaires de la protection temporaire les mieux insérés ; poursuivre les efforts de formation et d'accompagnement vers l’emploi dans la perspective d’une meilleure insertion professionnelle des BPT en provenance d'Ukraine ; et maintenir  des capacités d’hébergement et de logement dans les territoires, avec un objectif de rationalisation du parc en 2025.

Malgré ce contexte, la demande d’asile des Ukrainiens n’a cessé d’augmenter au fil des mois en 2024 et cette tendance se poursuit en 2025. Si une telle démarche relève de motivations individuelles qu’il est difficile de généraliser, elle révèle un souhait de se projeter vers un statut plus solide ouvrant de meilleures perspectives d’intégration à long terme que le statut de BPT. Ce dernier est marqué par une incertitude quant à sa durée, à l’échelle européenne, renforcée par le dispositif mis en place par les autorités françaises : celles-ci ont opté pour la délivrance d’autorisations provisoires de séjour (APS) de courte durée (6 mois) qui nécessitent des renouvellements réguliers et paraissent précaires aux yeux des bailleurs ou des employeurs ce qui peut entraver l’accès à l’emploi et au logement. Le basculement vers la procédure d’asile pour ces Ukrainiens bénéficiant précédemment de la protection temporaire illustre aussi une volonté de s’installer durablement en France, alors que la recherche initiale de refuge était souvent perçue comme temporaire en attendant que la situation s’améliore (une perspective qui n’a cessé de s’amoindrir).

Malgré de nombreuses alertes en ce sens, les autorités n’ont pas anticipé cette situation alors que le passage du statut de BPT vers un autre titre de séjour durable ou la délivrance accélérée d’une protection au titre de l’asile aurait pu être envisagée. Le système d’asile se trouve donc impacté par le conflit en Ukraine, trois ans après son déclenchement, alors que la protection temporaire visait justement à éviter cette situation. Une spécificité notable à l’échelle européenne puisque 50% de l’ensemble des demandes d’asile des Ukrainiens enregistrées en Europe en 2024 l’ont été en France, alors qu’une infime partie d’entre eux avait rejoint notre pays pour s’y réfugier (voir les données par pays fournies par le HCR) .