En mars 2025, la Pologne a adopté une loi permettant la suspension de longue durée de l’enregistrement des demandes de protection internationale, ce qui empêche l’exercice effectif du droit d’asile, dans le but de lutter contre « l’instrumentalisation » de migrants par des pays voisins. Le droit européen ne permet pourtant pas une telle dérogation.

Le 26 mars 2025, le président polonais, Andrezj Duda, a signé une nouvelle loi, particulièrement controversée, qui est entrée en vigueur, après avoir été votée par les législateurs polonais. Celle-ci permet aux autorités de suspendre temporairement l’enregistrement des demandes d’asile des personnes entrant irrégulièrement dans le pays, avec des exceptions prévues pour les personnes vulnérables, telles que les mineurs non accompagnés, les femmes enceintes ou les personnes âgées.

D’après cette loi, le gouvernement aura la faculté de suspendre la possibilité de déposer une demande d’asile pendant 60 jours. Des prolongations au-delà de cette période seront possibles avec l’approbation du Parlement.

Cette suspension pourra être mise en œuvre par une action exécutive du gouvernement en cas d’« instrumentalisation de migrants ». Au niveau de l’Union européenne (UE), le règlement 2024/1359, visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile, définit l’instrumentalisation comme « une situation (…) dans laquelle un pays tiers ou un acteur non étatique hostile encourage ou facilite le mouvement de ressortissants de pays tiers ou d'apatrides vers les frontières extérieures ou vers un État membre, dans le but de déstabiliser l'Union ou un État membre, et dans laquelle de telles actions sont susceptibles de mettre en péril des fonctions essentielles d'un État membre, y compris le maintien de l'ordre public ou la sauvegarde de sa sécurité nationale. »

Le gouvernement justifie en effet ladite loi par l’augmentation des arrivées depuis la Biélorussie. D’après le ministre de la Défense, Władysław Kosiniak-Kamysz, plus de 26 000 franchissements irréguliers ont été enregistrés au cours de la période janvier-septembre 2024, soit autant que pendant toute l’année 2023. Ces passages de la frontière étant soupçonnés d’être orchestrés par la Biélorussie, en collaboration avec la Russie.

En revanche, l’agence des garde-côtes et gardes-frontières de l’UE, Frontex, n’a détecté que 13 195 passages irréguliers (une même personne pouvant être comptabilisée plus d’une fois) sur la même période (janvier-septembre 2024), et cela sur toute la frontière extérieure orientale, c’est-à-dire la frontière terrestre longue de 6 000 kilomètres entre la Biélorussie, la Moldavie, l'Ukraine, la Russie et les États membres de l'UE - Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pologne, Slovaquie et Roumanie. De surcroît, les nationalités majoritairement repérées sur cette route sont l’Ukrainienne, la Somalienne et la Syrienne, les personnes possédant ces nationalités ayant des besoins de protection largement reconnus. 

Selon l'association polonaise pour l'intervention légale (SIP), « une loi visant les victimes, et non les auteurs de la crise, n'apportera aucun résultat », tandis que la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme a déclaré que « retirer aux migrants le droit de demander une protection internationale ne renforcera pas la sécurité à la frontière polono-biélorusse, mais aggravera le chaos qui y règne. (…) La création d'une zone grise pour les activités des services biélorusses et des groupes de passeurs n’améliorera certainement pas la sécurité des citoyens polonais et exposera les migrants à de graves risques pour leur vie ».

Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Michael O'Flaherty, s’était également dit préoccupé, en juillet 2024, lorsque la loi n’était encore qu’un projet, en particulier à la lumière des informations faisant état de la poursuite de la pratique des renvois sommaires de personnes à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.

De son côté, le Conseil de l’UE s’était contenté, dans ses conclusions du 17 octobre 2024, de soutenir les États confrontés à des situations d’instrumentalisation, sans se prononcer concrètement sur la loi, qui n’était qu’un projet à cette période.

Il est à noter que ni la Directive 2013/32, dite « procédure », actuellement applicable, ni le règlement 2024/1348, également connu sous le nom « procédure », du Pacte de l’UE sur la migration et l’asile, prochainement applicable (juin 2026), ne permettent de suspendre les enregistrements. Le règlement 2024/1359, dit « crise », qui sera lui aussi applicable au printemps 2026, permet uniquement à un État membre confronté à une situation de « crise », pouvant être caractérisée par de l’instrumentalisation, à enregistrer les demandes quatre semaines après la présentation desdites demandes, au plus tard, soit en 30 jours, et non 60 jours. De plus, cette dérogation ne pourra être appliquée que pendant la période prévue dans une décision d’exécution du Conseil, et il n’y aura pas de prolongation possible (article 10).

Il est par conséquent préoccupant que, le 27 mars 2025, interrogé sur la compatibilité de la nouvelle loi avec la législation européenne, le porte-parole de la Commission européenne, l’institution en charge de veiller à la bonne application du droit de l’UE, se contente de répondre que les mesures doivent être « temporaires, nécessaires, proportionnées et bien définies ».

D’autre part, il est important de rappeler que la Cour de justice de l’UE a statué en 2021 que, bien que l'article 72 du Traité sur le fonctionnement de l’UE octroi la compétence de maintien de l'ordre public et de la sécurité intérieure aux États membres, cet article ne justifie pas l’interdiction de l’exercice du droit d’asile en cas d’instrumentalisation. Cet arrêt a été pris dans un cas similaire au présent cas : concernant une règlementation lituanienne en réponse aux premières arrivées importantes en provenance de la Biélorussie selon laquelle, en cas de déclaration de l’état de guerre ou de l’état d’urgence, ou en cas de proclamation d’une situation d’urgence en raison d’un afflux massif d’étrangers, les ressortissants de pays tiers se trouvant en situation de séjour irrégulier se voient privés de la possibilité d’avoir accès à la procédure d’examen d’une demande de protection internationale.

Au vu de la situation, et d’autant plus si la Pologne ne met pas en œuvre le Pacte sur la migration et l’asile (le pays ayant voté contre, mais la majorité qualifiée l’ayant emportée au Conseil de l’UE et la majorité simple au Parlement européen), comme annoncé par le Premier ministre, Donald Tusk, la Commission européenne devrait engager une procédure d’infraction/de recours en manquement.

Elle pourrait, par ailleurs, faire de même vis-à-vis de la Finlande, qui, depuis juillet 2024, dispose d’une loi similaire concernant la frontière avec la Russie, mais qui n’a encore jamais été appliquée. Le pays envisage même de la prolonger au-delà des 12 mois initiaux prévus, au cas où de nouvelles situations d’instrumentalisations aient lieu.

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