Dans une contribution au rapport annuel de Forum réfugiés, la section polonaise de l’organisation Save The Children rapporte les principaux résultats d’une étude sur la scolarisation des enfants ukrainiens. Cette recherche, qui s’accompagne de recommandations, analyse les obstacles à l’accès au système éducatif polonais, les mécanismes d’adaptation et systèmes de soutien mis en place, et les ressources mobilisées. 

 

Une étude a été lancée par les sections polonaises des organisations Save the Children, CARE International, et le Comité international de secours (IRC) afin de mieux comprendre les facteurs qui empêchent la scolarisation des adolescents ukrainiens en Pologne. Le rapport met en lumière les obstacles, les outils et instruments mis en place afin de lutter contre l’absentéisme, mais aussi les stratégies employées afin de favoriser l’inscription de ces enfants à l’école. La recherche a été menée selon une méthodologie participative, impliquant des adolescents ukrainiens âgés de 10 à 18 ans, des aidants Ukrainiens, des éducateurs, des ONG et des représentants du gouvernement. 

En Pologne, en matière d’éducation des réfugiés ukrainiens, on relève des efforts louables de la part d’acteurs aussi bien gouvernementaux que non-gouvernementaux et internationaux. L’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenchée le 24 février 2022 a, en effet, entrainé, selon les estimations établies en novembre 2023, le déplacement de 957 305 Ukrainiens en Pologne, dont une majorité de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Pour y faire face, le Parlement polonais a adopté le 12 mars 2022, la « loi sur l’assistance » qui accorde le séjour régulier aux Ukrainiens et octroie, aux enfants, le droit d’accéder à l’éducation.

Néanmoins, malgré les efforts déployés pour garantir l'accès à l'éducation, un nombre important d'adolescents ne s'inscrit pas ou abandonne ses études. De plus, il est difficile d’obtenir des informations sur le nombre d’adolescents ukrainiens déscolarisés, avec des incohérences entre les élèves inscrits mais qui ne vont pas l’école, ceux qui la fréquentent de manière irrégulière ou ceux qui l’ont abandonnée. Selon le gouvernement polonais, en novembre 2023, 293 229 enfants et adolescents en âge d’être scolarisés, étaient enregistrés avec des numéros PESEL (registre de l’ensemble de la population de Pologne). Parmi eux, 220 662 adolescents âgés de 10 à 18 ans, tranche d’âge cible de l’étude, ont été enregistrés. En parallèle, 108 884 Ukrainiens de la même tranche d’âge (10-18 ans) étaient inscrits dans une école, ce qui représente 49% de la population inscrite. Cela dit, ce dernier chiffre ne prend pas en compte ceux qui se sont initialement inscrits dans le système éducatif polonais mais qui ne l’ont jamais fréquenté ou l’ont abandonné. Il n’existe aucun système structuré permettant de suivre de manière exhaustive les adolescents ukrainiens non scolarisés et, compte tenu des mouvements de population et de nombreux étudiants ukrainiens suivant les cours en ligne, on sait que les chiffres officiels ne reflètent pas le nombre exact d’étudiants qui suivent régulièrement des cours en présentiel. Cependant, en se fondant sur les chiffres officiels, on peut estimer que le nombre d’enfants et d’adolescents non scolarisés s’élève à plus de 111 500 personnes.

Le rapport dresse plusieurs constats : il liste les obstacles à l’accès au système éducatif polonais, les mécanismes d’adaptation et les systèmes de soutien pour les enfants non scolarisés, ainsi que les éléments permettant de favoriser la scolarisation ou la réinscription des adolescents ukrainiens dans le système éducatif polonais. Il s’accompagne de recommandations politiques et techniques.

Les obstacles à l’accès au système éducatif polonais

  • Peu de données sont disponibles sur les adolescents ukrainiens non scolarisés pour analyser, suivre et éclairer la prise de décision. En conséquence, l’action des éducateurs, de l’administration scolaire, ainsi que des autorités locales et nationales se trouve entravée.
  • Les Ukrainiens plus âgés préfèrent suivre des cours en ligne plutôt que de fréquenter les écoles polonaises, dans l’espoir de reprendre, par la suite, leurs études en Ukraine.
  • Le bien-être des aidants influe également sur la manière dont ces enfants accèdent à diverses formes d’éducation. En effet, ceux-ci sont eux-mêmes confrontés à de nombreuses difficultés personnelles, devant se remettre du stress de la guerre qu’ils ont vécu, tout en cherchant un emploi en Pologne.
  • La surpopulation croissante dans les écoles, l’augmentation des demandes d’inscription par année scolaire ainsi que les difficultés concernant la compréhension des procédures d’inscriptions constituent des obstacles d’accès au système scolaire polonais.
  • Les barrières culturelles et linguistiques constituent l’une des principales raisons pour lesquelles les Ukrainiens abandonnent leurs études ou choisissent de ne pas fréquenter les écoles polonaises.
  • Les éducateurs ukrainiens rencontrent des difficultés pour faire reconnaitre leur accréditation par le système polonais et acceptent souvent d’autres emplois pour prendre soin de leur famille.
  • Aucun certificat n’est délivré à l’issue des cours suivis en ligne attestant des compétences acquises et les crédits scolaires antérieurement acquis en Ukraine ne sont pas pris en compte par le système scolaire polonais.

 

Mécanismes d’adaptation et systèmes de soutien pour les enfants et adolescents ukrainiens non scolarisés

  • Les adolescents ukrainiens déscolarisés n’interagissent pas beaucoup avec leurs camarades polonais et connaissent un isolement accru, ce qui impacte leur bien-être psychosocial.
  • Les actions menées par la communauté ukrainienne et les ONG sont très efficaces, mais il manque une offre de services adéquate pour garantir une plus grande incitation et un meilleur accompagnement des élèves qui suivent des cours en ligne et à l’école, avec un meilleur soutien du gouvernement polonais.
  • Les services de soutien psychosocial mis en place sont insuffisants pour répondre aux besoins des adolescents ukrainiens se remettant d’un conflit, d’un déplacement forcé ou de l’isolement social.
  • Les ONG jouent un rôle essentiel dans la fourniture de services et d’informations aux réfugiés ukrainiens concernant les filières éducatives, bien qu’elles aient une capacité limitée à s’impliquer directement dans les écoles.
  • Même si certains enseignants polonais créent de manière proactive des services d’information pour les étudiants, ces actions ne sont pas systémiques et dépendent des actions individuelles des éducateurs.
  • Les activités interculturelles qui rassemblent les jeunes polonais et ukrainiens et qui favorisent la solidarité et la compréhension interculturelle constituent un système de soutien essentiel qui reste insuffisamment assuré.

Favoriser la scolarisation ou la réinscription des adolescents ukrainiens dans le système éducatif polonais

  • Le faible niveau de ressources et de soutien des autorités polonaises influe grandement sur la volonté des familles ukrainiennes d’envoyer leurs adolescents dans les écoles polonaises.
  • Alors que les adolescents et les tuteurs reconnaissent l’importance des écoles polonaises pour l’apprentissage des langues et l’intégration, le manque de disponibilité des assistants linguistiques continue d’entraver l’intégration et l’apprentissage de la langue.
  • L’octroi de ressources essentielles, telles qu’un soutien psychosocial est primordial afin de permettre une meilleure transition et faciliter l’intégration scolaire et culturelle des adolescents ukrainiens.
  • La baisse des ressources financières dont disposent les ONG pour les projets d’éducation et d’intégration impacte négativement l’accès à ces services.

Recommandations

Pour améliorer la situation, le rapport formule plusieurs recommandations d’ordre politique (pour les quatre premières) et techniques (pour les six suivantes) :

  1. Le gouvernement polonais devrait augmenter considérablement ses investissements au niveau central dans le secteur de l’éducation et décentraliser les ressources pour permettre aux écoles de mieux accueillir les élèves ukrainiens nouvellement arrivés.
  2. Le gouvernement polonais devrait mettre en place et financer un mécanisme complet et collaboratif de suivi et de responsabilisation pour les adolescents ukrainiens déscolarisés.
  3. Les acteurs publics et privés devraient mener conjointement des recherches plus approfondies pour mieux comprendre la situation des populations les plus vulnérables et marginalisées, et investir pour répondre à leurs besoins, en particulier les enfants non accompagnés et séparés, la communauté rom, les enfants handicapés et les enfants déplacés, vivants dans les refuges.
  4. Le gouvernement polonais, les donateurs institutionnels et privés devraient renforcer leur soutien et leur collaboration avec les ONG et la société civile dans le domaine de l’éducation, le soutien social et la protection des adolescents ukrainiens.
  5. Le ministère de l’Éducation, les ONG et la société civile devraient renforcer les programmes d’assistance linguistique et culturelle à destination des adolescents ukrainiens, dans les écoles.
  6. Le ministère de l’Éducation, les donateurs privés et institutionnels devraient consacrer des ressources supplémentaires en matière de santé mentale et de soutien psychosocial dans les écoles, afin de garantir un soutien adapté et cohérent aux adolescents ukrainiens.
  7. Le gouvernement polonais devrait examiner et évaluer les protocoles existants pour l’accréditation des éducateurs ukrainien ainsi que la reconnaissance des diplômes des étudiants ukrainiens.
  8. Le gouvernement polonais, les donateurs privés et institutionnels et les acteurs de la société civile devraient consacrer davantage de ressources à assurer un soutien adéquat et à préparer les éducateurs polonais à s’engager auprès des adolescents ukrainiens.
  9. Le gouvernement polonais devrait réinvestir dans les cours préparatoires destinés aux adolescents ukrainiens et dispensés parallèlement au programme scolaire polonais.
  10. Le gouvernement polonais devrait envisager la possibilité d’intégrer l’ensemble des enfants réfugiés présents sur le territoire, dans le système scolaire polonais afin d’améliorer leurs résultats scolaires.

Cet article est une contribution de Save The Children Pologne à l’ouvrage État des lieux de l’asile en France et en Europe, 2024, publié le 20 juin 2024 et disponible sur notre site.