Présidence portugaise de l’UE : quelles perspectives d’avancements pour le Pacte sur la migration et l’asile ?
Le 1er janvier 2021, le Portugal a succédé à la présidence allemande au Conseil de l’Union européenne. Il devra faire avancer les négociations et les travaux législatifs autour du Pacte européen sur la migration et l’asile, une tâche délicate pour cet Etat membre du pourtour méditerranéen, qui accueille peu de demandeurs d’asile mais porte les attentes des autres Etats membre dits du « Sud ».
Le Pacte européen sur l’asile et la migration a été présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020. Ce nouveau cadre de la politique migratoire européenne vise à la fois à finaliser les négociations sur plusieurs textes législatifs initiés en 2016 par la précédente législature de la Commission européenne, et à proposer de nouveaux textes législatifs aux co-législateurs européens (le Parlement et le Conseil de l’UE). Le Portugal devra donc mener à terme les négociations sur des textes qui ont déjà fait l’objet d’accords politiques provisoires, à savoir le règlement « Qualification », la directive « Accueil », le règlement sur la réinstallation et les admissions humanitaires, ainsi que le règlement pour la création d’une Agence européenne pour l’asile. De plus, le Portugal devra poursuivre le travail entamé par la présidence allemande sur les nouveaux textes législatifs, notamment sur la proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration, la proposition de règlement sur le filtrage des ressortissants de pays tiers, la proposition de modifications du règlement Procédures présenté en 2016, la proposition de modifications du règlement Eurodac, et la proposition de règlement visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure.
Les réunions européennes des ministres en charge des affaires intérieures, qui se sont tenues en octobre et en décembre 2020, ont permis aux Etats membres de se saisir de ces différents dossiers. Dans le même temps, la commission libertés civiles (LIBE) du Parlement européen, en charge des questions d’asile et de migration, a nommé les différents rapporteurs et rapporteurs fictifs qui devront étudier les propositions législatives, proposer des amendements et adopter une position commune pour entamer des négociations avec le Conseil de l’UE. Malgré la complexité de ces dossiers et la sensibilité politique liée aux sujets migratoires au sein de l’Union, la Commission européenne espère voir les différents textes adoptés d’ici quelques mois. Le Portugal souhaite (re)trouver un socle commun entre les Etats membres qui se divisent entre le « Groupe de Visegrad » et les « États du Sud ». Il a commencé à ce titre à organiser des réunions bilatérales avec les différents Etats membres ainsi qu’une réunion européenne informelle des ministres de l’Intérieur le 28 janvier. Cette dernière a en particulier porté sur la dimension extérieure des migrations, notamment en matière de retour et de réadmission, de migration légale, de gestion des frontières mais aussi de l’espace Schengen.
Les attentes sont importantes sur ce nouveau Pacte et cette présidence. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a appelé le Portugal, et la Slovénie qui assurera la présidence en juillet 2021, à « faire preuve de leadership pour mieux protéger les réfugiés en Europe et au-delà ». Dans une série de recommandations, l’agence onusienne propose des mesures fondées sur des principes de solidarité, de durabilité, et qui repose sur les droits fondamentaux. Elle rappelle également le rôle essentiel des présidences de l’UE en 2021 qui devront faciliter les discussions vers un système européen d’asile commun, viable et protecteur. Les attentes se font aussi entendre du côté de certains États membres, comme Chypre, qui n’a pas caché ses espoirs en la présidence portugaise en déclarant « qu’il n’y a pas de meilleur Etat membre que le Portugal pour mener avec succès » les négociations sur le Pacte. En tant que pays méditerranéen, le Portugal peut être vu comme un Etat qui comprend les inquiétudes exprimées par les pays comportant des frontières extérieures de l’Union.
Pourtant, si le Portugal a vu son nombre de primo-demandeurs d’asile augmenter ces dernières années, les niveaux restent bien moindres que ses voisins européens. Selon les données Eurostat, le Portugal a enregistré 1 735 primo-demandeurs en 2019 contre 1 240 en 2018, 1 015 en 2017, et 710 en 2016. En comparaison, en 2019, l’Espagne a enregistré 115 175 primo-demandeurs, la Grèce 74 910, l’Italie 35 005, Chypre 12 695, Malte 4 015. Rapporté à la population, le Portugal se situe autour des vingtièmes rangs du classement européen ces dernières années. Selon le rapport AIDA sur le Portugal, les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont l’Angola, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée, le Venezuela, la République démocratique du Congo, le Nigéria, l’Ukraine, le Sénégal et le Cameroun. Dans le même temps, le Portugal s’est régulièrement porté volontaire dans les accords ad hoc de relocalisation ou de répartition de demandeurs d’asile ou de migrants secourus en mer Méditerranée ou depuis les hotspots des îles grecques. Le rapport AIDA soulève cependant plusieurs problématiques dans l’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés. En plus de difficultés d’application des procédures liées au règlement Dublin, il souligne des mécanismes et des garanties insuffisants pour identifier les demandeurs d’asile vulnérables, ainsi que des dispositifs d’accueil et d’hébergement saturés. Le Conseil portugais pour les réfugiés alerte également sur l’usage excessif de la rétention des demandeurs d’asile, problématique également soulignée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies et par le Comité contre la torture. Les problématiques nationales restent donc importantes pour ce pays méditerranéen.
Si le Portugal s’est démarqué pendant la période de crise sanitaire en mettant en œuvre plusieurs mesures de protection des droits des réfugiés comme l’a rappelé le Haut-commissaire pour les réfugiés Filippo Grandi, le pays devra jouer de ses atouts pour réunir les deux blocs d’Etats membres qui s’opposent aujourd’hui autour des principes d’accueil, de solidarité et de protection, pour construire une nouvelle politique d’asile européenne.