Le règlement Dublin est un texte européen qui fixe des critères pour déterminer l’État responsable d’une demande d’asile. Parmi les différents critères figurant dans le règlement, c’est généralement le fait d’être passé par un premier pays européen qui rend ce dernier responsable de la demande d’asile formulée dans un autre pays. Lorsqu’un demandeur d’asile se présente en préfecture pour enregistrer sa demande en France, il peut ainsi être placé sous « procédure Dublin » le temps de mettre en œuvre son transfert vers un autre État (sous réserve de l’accord de celui-ci).

D’après les statistiques publiées en janvier 2022 et consolidées en juin 2022 par le ministère de l’Intérieur, les préfectures ont enregistré 30 195 demandes d’asile sous procédure Dublin au cours de l’année 2021, ce qui représente 29% de l’ensemble des premières demandes d’asile (contre 31% l’année précédente). Un tiers d’entre elles (10 157) ont été éteintes et requalifiées cette même année en procédure normale ou accélérée pour être examinées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). L’OFPRA a par ailleurs instruit environ 10 000 demandes enregistrées en préfecture avant 2021 en tant que procédures Dublin et requalifiées en 2021. Le manque de données publiques ne permet pas d’analyser en détail les raisons multiples pouvant entraîner une requalification (refus des États requis, annulations de décisions de transfert par les tribunaux administratifs, expiration du délai de 18 mois suite à une « fuite » des demandeurs d’asile, clause de souveraineté etc.).

La base de données en ligne de l’agence européenne Eurostat permet de compléter ces statistiques ministérielles et d’analyser plus en détail la mise en œuvre de ce règlement Dublin. Tout d’abord Eurostat recense 37 611 requêtes Dublin émises par la France en 2021, soit 7 416 de plus que les données du ministère. Cette différence s’explique en partie par le fait que les données citées précédemment ne concernent que les premières demandes placées sous procédure Dublin, alors que le placement peut également intervenir lors d’un réexamen (demandeurs d’asile de retour après un premier transfert).

77% de ces requêtes (29 094) concernent des « reprises en charge », c’est-à-dire des situations dans lesquelles les personnes ont déjà formulé une demande d’asile (encore en cours ou déjà traitée) dans un autre État. Les autres demandes (23%) concernent des « prises en charge » c’est-à-dire des situations dans lesquelles l’examen des critères du règlement Dublin fait apparaitre la responsabilité d’un autre État (dans lequel le demandeur est passé, a été admis avec un visa ou encore dispose de liens familiaux) sans qu’aucune demande d’asile n’y ait encore été enregistrée.

Les demandes de la France ont été principalement adressées à l’Italie (27% / 10 264), suivie de l’Allemagne (19% / 7 288) et de l’Espagne (10% /3 911). Les autorités françaises ont également sollicité certains pays pourtant marqués par d’importantes défaillances de leur système d’asile, comme la Bulgarie (2 158 demandes) ou la Hongrie (747 demandes).

Sur l’ensemble des décisions prises par les autres États suite aux demandes de la France (40 699), le taux d’accord n’est que de 50% (20 333), un niveau particulièrement bas comparé aux années précédentes. Par la suite, 3 145 transferts vers ces pays ayant donné leur accord ont été mis en œuvre. Le taux de transfert au regard des accords est ainsi de 15% tandis que le taux de transfert au regard de l’ensemble des demandes adressées par la France n’est que de 8%.

De nombreuses mesures ont été prises pour améliorer l’efficacité du règlement Dublin, notamment la mise en place des pôles régionaux Dublin (PRD) en 2019 qui mobilise des moyens humains (et donc un budget) conséquents. Après avoir augmenté de 2015 à 2019, le taux de transfert est pourtant en baisse depuis lors et se trouve en 2021 à un niveau inférieur à celui de 2014.

Le même constat se répète ainsi année après année : pour plus de 9 personnes sur 10 placées sous procédure Dublin, l’application du règlement mobilise des moyens considérables et les place dans des situations d’attente et de précarité prolongées, pour n’aboutir qu’à un report de leur demande d’asile, dont la France redevient finalement responsable.

Un rapport sénatorial de mai 2022 fournit quelques éléments d’explication sur ce « taux d’échec » des transferts qu’il juge « particulièrement élevé ». On y apprend notamment que l’Italie refuse les réadmissions par vols groupés depuis le début de la crise sanitaire, que la Roumanie n’acceptait que dix transferts par jour pour l’ensemble des pays européens jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine. Le rapport précise par ailleurs que depuis ces évènements la Pologne, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie ont totalement suspendu les reprises en charge au titre du règlement Dublin. Cette position n’a cependant pas amené la France à suspendre l’application du règlement, des demandeurs d’asile continuent donc à être placés sous procédure Dublin y compris lorsque l’un de ces pays est considéré comme responsable de leur demande. Le rapport parlementaire évoque également les difficultés d’exécution des transferts lorsqu’ils ont été acceptés par l’État requis, indiquant notamment que ces procédures avaient donné lieu à 14 000 démarches contentieuses enregistrées par les tribunaux administratifs en 2019 (15% du contentieux des étrangers devant ces juridictions).

Le sénateur auteur du rapport considère que « peu de mesures paraissent pouvoir être mises en œuvre au seul niveau national » pour remédier à cette situation, et cite le Conseil d’État qui écrivait dans un rapport publié en mars 2020 que «les efforts considérables consentis pour la mise en œuvre du règlement ‘’Dublin III’’ produisent des résultats trop faibles pour ne pas remettre en question l’équilibre du règlement lui-même ». Il conviendrait a minima de faire preuve de davantage de discernement de la part des préfectures au moment de décider d’un placement sous procédure Dublin, pour éviter les nombreux placements qui aboutissent à des requalifications prévisibles.

Concernant les transferts depuis un autre État européen vers la France, les données Eurostat font apparaître 8 656 requêtes. Les principaux pays ayant sollicité la France sont l’Allemagne (4 612), la Belgique (1 462) et la Suisse (513). La France a donné 4 026 accords (49% des décisions) ce qui a donné lieu à 1 012 transferts effectifs (12% des décisions).