Mineurs non accompagnés : la présomption de minorité en question
Le principe d’une présomption de minorité pour les jeunes étrangers qui sollicitent une admission au sein des dispositifs de protection de l’enfance est souvent évoqué dans les débats sur l’évaluation de l’âge. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a notamment demandé à la France de revoir son dispositif pour qu’il soit pleinement appliqué dans l’attente de la décision du juge des enfants lorsqu’il est saisi.
Les mineurs non accompagnés (MNA), des étrangers de moins de 18 ans sans représentant légal sur le territoire français, doivent être pris en charge au titre de la protection de l’enfance car l’absence d’adultes pour veiller à leur éducation, leur santé et leur bien être les place en situation de danger. Les services d’aide sociale à l’enfance (ASE) des départements sont compétents pour accompagner ces jeunes, dans le cadre du droit commun de l’enfance en danger qui peut donner lieu à une admission administrative dans un premier temps mais doit toujours être validée ensuite par un magistrat.
L’enjeu principal autour de cette prise en charge concerne l’évaluation de l’âge : dès lors qu’un jeune est considéré comme mineur, et qu’il n’est accompagné d’aucun représentant légal, alors il doit être admis à l’ASE au moins jusqu’à ses 18 ans. Pour évaluer l’âge, comment s’applique la « présomption de minorité », notion souvent citée dans le débat public autour de la prise en charge des MNA ?
Cette présomption pourrait s’entendre très largement : tout jeune déclarant un âge inférieur à 18 ans serait immédiatement présumé mineur et donc pris en charge par l’ASE, sans évaluation ni vérification. Une telle option serait cependant impossible à mettre en œuvre en pratique car de nombreux étrangers de plus de 18 ans, confrontés aux limites et restrictions existantes en matière de régularisation et d’hébergement d’urgence, se tourneraient vers l’ASE et seraient ainsi accompagnés dans un dispositif de protection de l’enfance qui ne correspond pas à leurs besoins. Cela aurait pour conséquence de saturer les services départementaux et le mélange entre enfants et jeunes adultes créerait un cadre d’accompagnement inadapté pour les mineurs en danger : c’est ce qui s’est passé ponctuellement par le passé lorsque certains conseils départementaux ont admis toute personne se présentant comme MNA sans aucune évaluation de l’âge et se sont vite trouvés débordés.
Un dispositif d’évaluation de l’âge est donc nécessaire, et face à l’absence de méthodes scientifiques (les examens osseux ayant notamment démontré leur caractère imprécis et inadapté), l’évaluation dite « sociale » a été identifiée comme la meilleure pratique en la matière et a été instaurée à partir de 2013 en France par circulaire avant une consécration législative en 2016. Pour bénéficier d’une mise à l’abri et faire reconnaître sa minorité, un jeune étranger doit ainsi se présenter auprès des services du conseil départemental qui mettra en œuvre - avec délégation possible à une association - une procédure d’évaluation sociale principalement encadrée par un arrêté de novembre 2019 complété par un guide de bonnes pratiques publié en décembre 2019.
Ces textes ne font pas apparaître explicitement de notion de « présomption de minorité », mais l’obligation de mise à l’abri immédiate, tout comme l’exigence de « bienveillance » lors de l’évaluation, se fondent sur l’idée que le jeune est potentiellement mineur et doit être traité dans un premier temps comme tel. S’il est reconnu mineur au terme de cette phase d’évaluation qui ne peut excéder 5 jours, il sera admis durablement à l’ASE après validation de la minorité par le Parquet et par le Juge pour enfants.
Si l’évaluation sociale conclut que le jeune n’est pas un « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille », le jeune peut faire reconnaître sa minorité et donc son besoin de protection par une saisine directe du Juge pour enfants. Ce recours, qui peut être jugé en plusieurs semaines voire plusieurs mois en raison du manque de moyens attribués aux tribunaux, n’a cependant aucun effet immédiat et ne suspend pas la décision de refus de prise en charge du département. Ainsi, et alors que l’évaluation sociale menée par les conseils départementaux n’est évidemment pas infaillible notamment en raison de sa durée limitée (qui empêche parfois une véritable mise en confiance permettant de recueillir l’ensemble des éléments nécessaires) et des difficultés liées à la prise en compte des documents d’état civil à cette étape (des documents pas toujours rassemblés par le jeune et dont il est difficile de juger l’authenticité sans recherche approfondie menée par les services compétents de l’État), le jeune qui saisit le juge pour enfants est considéré comme étant adulte. Il se retrouve donc en situation irrégulière (seuls les étrangers mineurs étant dispensés de l’exigence de titre de séjour) et éprouve d’importantes difficultés à être hébergé : les dispositifs de droit commun sont en effet saturés et on ne peut y accéder si l’on se présente comme mineur sans représentant légal.
C’est cette situation que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a dénoncé dans ses observations adressées à la France le 2 juin 2023. L’organe onusien, qui veille à la bonne application de la Convention internationale des droits de l’enfant par les États signataires, a ainsi recommandé à la France d’appliquer le principe de présomption de minorité lors de la procédure d’évaluation de l’âge y compris pendant la procédure judiciaire : le jeune doit ainsi être traité comme un enfant dans l’attente de l’examen de sa situation par le juge pour enfant. Le Conseil de l’Europe, dans une recommandation de décembre 2022, avait déjà indiqué que « les États devraient veiller à ce que les personnes soumises à une procédure d’évaluation de l’âge soient présumées mineures tant que cette procédure n’indique pas le contraire ». L’Agence européenne pour l’asile avait aussi précisé dans un guide pratique publié en 2018 que « le bénéfice du doute doit être accordé dès qu’apparaît un doute concernant l’âge déclaré, puis tout au long de la procédure d’évaluation de l’âge et jusqu’à l’obtention de résultats concluants [et] le demandeur devrait être considéré et traité comme un enfant jusqu’à preuve du contraire ».
Le Comité de droits de l’enfant s’était lui-même déjà prononcé sur ce sujet en mars 2023, dans le cadre d’une affaire individuelle concernant la France qui avait donné lieu à plusieurs « constatations ». suivies de recommandations Le Comité avait notamment demandé à la France « d’adopter des mesures de protection en faveur des jeunes gens affirmant être mineurs dès leur entrée sur le territoire de l’État partie et pendant toute la procédure en les traitant comme des enfants et en leur reconnaissant tous les droits que leur reconnaît la Convention ». La France avait 180 jours, à partir des constatations transmises le 25 janvier 2023, pour transmettre des renseignements sur les mesures prises à cet égard mais il semble qu’aucune démarche en ce sens n’ait été effectuée à ce jour. Il demeure donc nécessaire de modifier le cadre légal pour une prise en compte de la présomption de minorité jusqu’à la décision du juge pour enfants, à travers la consécration d’un recours suspensif, mais aussi d’imaginer et bâtir des dispositifs d’accueil et d’accompagnement adaptés à cette période d’attente pour un public à l’âge incertain – comme l’ont déjà fait quelques collectivités territoriales allant au-delà des exigences légales pour une meilleure protection de ce public.