Rétention administrative : l’enfermement des anciens détenus en hausse
Le rapport inter-associatif 2019 sur les centres et locaux de rétention administrative, publié le 22 septembre 2020, met en lumière un recours à la rétention devenu presque systématique s’agissant des étrangers en situation irrégulière sortant de prison. Plusieurs enjeux entourent cette pratique, notamment en matière d’accès aux droits.
La rétention administrative est une modalité d’enfermement « non pénitentiaire » permettant à l’administration de maintenir, sous le contrôle du juge, des personnes étrangères faisant l’objet d’une procédure d’éloignement du territoire. Elle se distingue de l’incarcération, tant d’un point de vue juridique que pratique. D’une part, la décision de placement en rétention est une décision administrative, prise par l’autorité préfectorale. Elle ne résulte donc pas une condamnation prononcée par un juge judiciaire, sauf exceptions. D’autre part, elle est exécutée dans des lieux spécialement dédiés, distincts de l’administration pénitentiaire, placés sous l’autorité du ministère de l’Intérieur est gérés principalement par la police de l’air et des frontières (PAF).
Une mesure de placement en rétention a pour objectif de faciliter les reconduites et de s’assurer de leur effectivité : en principe, elle ne peut être prononcée que lorsqu’il existe un « risque de fuite » avéré, susceptible de faire obstacle au retour de l’étranger vers son pays d’origine ou vers tout pays où il serait légalement réadmissible. Il en résulte qu’un étranger ne peut être maintenu que pour un temps limité, lorsqu’il existe « une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement ».
Par essence, la rétention n’a donc pas de finalité « punitive » bien qu’elle revête une dimension « pénalisante », en ce sens qu’il s’agit d’une mesure qui prive l’étranger de liberté, notamment de celle de circuler. Pour autant, la rétention ne doit jamais constituer ni une sanction au séjour irrégulier, ni un moyen de garder à disposition des personnes en situation irrégulière qui n’auraient pas de perspectives d’éloignement.
Dans certaines situations, des étrangers peuvent être amenés à passer d’une privation de liberté dans le cadre pénal à un enfermement en centre de rétention administrative (CRA). Le rapport inter-associatf 2019 portant sur les CRA, publié le 22 septembre 2020, constate que le nombre de personnes retenues à leur sortie de prison a fortement augmenté. En 2019, le nombre d’anciens détenus concernés atteint 2 954 personnes soit presque le double par rapport à 2017. Leur proportion représente presque 14,5% du total des placements en rétention sur le territoire national contre 12,9% en 2018. Les CRA de la région parisienne et de Marseille sont des exemples particulièrement représentatifs : au titre de l’année 2019, les CRA de Marseille et de Palaiseau ont respectivement enfermé 421 et 175 sortants de prison, ce qui représente 29,5% de leurs placements.
En deux ans, le rapport estime que leur nombre a quasiment doublé et ce sous l’impulsion d’une politique sécuritaire. Les attaques terroristes qui ont concerné la France ces dernières années, particulièrement celle perpétrée en octobre 2017 à Marseille par un ressortissant tunisien qui aurait pu faire l’objet d’un placement en CRA la veille, ont bouleversé les pratiques et les fonctions de ces lieux de rétention (voir le communiqué de presse de Forum réfugiés-Cosi à ce sujet).
Néanmoins, cette problématique n’est pas nouvelle puisque dans un rapport de 2009 consacré à la gestion des centres de rétention administrative, la Cour des Comptes relevait qu’il s’agissait déjà d’« une question lancinante et toujours pas réglée ». Elle rappelait à propos de la rétention des sortants de prison que « l'administration devrait avoir tous les moyens de l'éviter en utilisant la période de prison pour préparer l'éloignement ».
Cette logique visant à imputer aux CRA des fonctions de prévention supposée à l’ordre public a trouvé son paroxysme en 2020. Pendant l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a choisi de maintenir les CRA ouverts et d’y enfermer prioritairement des sortants de prison alors même que les perspectives d’éloignement étaient quasiment nulles compte tenu de la fermeture des frontières. Et la dernière instruction du ministre de l’intérieur en date du 29 septembre sur l’éloignement des personnes incarcérées ne va pas diminuer la pression sur ces lieux.
Au-delà d’un glissement vers une logique de répression, plusieurs difficultés émanent de cet usage de la rétention.
D’abord, de possibles difficultés que pourraient poser certains sortants de prisons notamment les plus virulents dans des centres qui n’ont pas été conçus à cet effet. Le placement d’une population venant du milieu carcéral peut susciter davantage de tensions entre les personnes retenues même s’il serait inexact de penser que les sortants de prison seraient responsables des troubles dans les CRA. Le placement important et sans discernement de personnes psychologiquement fragiles participe davantage à cette situation.
Ensuite, des difficultés peuvent être rencontrées par les anciens détenus dans l’exercice de leurs droits. Par principe, toute personne s’étant vue notifier une mesure d’éloignement a la possibilité de la contester devant un juge dans un délai de 48h. Pour les sortants de prison, l’accès au juge est très compliqué car ils sont tenus d’accomplir l’ensemble des formalités en prison ou en maison d’arrêt, auprès du greffe ou du conseiller du service pénitentiaire auquel l’accès n’est pas toujours facile, notamment dans un délai aussi réduit. Ainsi, selon le rapport 2016 sur les lieux de rétention, sur 55 sortants de prison retenus après leur peine au CRA de Lyon, seuls 15 ont pu contester la décision d’éloignement dont ils faisaient l’objet. Ces faits interrogent quant à l’effectivité du droit à un procès équitable, pourtant consacré comme une liberté fondamentale par plusieurs instruments du droit international.
Par ailleurs, bien que certains détenus étrangers émettent le souhait de rentrer volontairement dans leur pays à leur sortie de prison et disposent en ce sens de passeports valides, il est fréquent qu’ils soient tout de même placés en rétention le temps d’organiser leur départ. Cette mesure peut être vécue comme une injustice par les personnes sortantes de prison qui considèrent la rétention comme une deuxième peine privative de liberté, décidée de façon arbitraire alors qu’aucune nouvelle condamnation n’est intervenue.
Au regard de ces éléments, il convient de rappeler que la rétention ne doit être utilisée qu’en dernier recours, lorsque des mesures moins coercitives ne sont pas envisageables. De plus, lorsque l’éloignement d’un détenu en situation irrégulière est requis, il doit être envisagé dès sa condamnation. De cette façon, la durée d’incarcération doit permettre aux services compétents de mener l’intégralité des démarches nécessaires au retour de la personne avant la fin de sa peine, et cela dans le respect de leurs droits, de sorte à éviter toute mesure de privation de liberté inutile.