Une récente note du Service de recherche du Parlement européenne présente un éclairage statistique qui indique en premier lieu que 35,5 millions d’enfants dans le monde vivent en dehors de leur pays de naissance en 2020 contre 11,5 millions en 2000 selon le Département des Nations unies sur les affaires économiques et sociales. Un chiffre qui souligne l’importance de la mobilité migratoire des mineurs. Il n’existe pas de données précises sur le nombre de mineurs migrants en situation irrégulière dans les États membres de l’UE. Cependant, une analyse des traversées irrégulières des frontières européennes peut donner une première perspective. Selon Frontex, environ 125 000 franchissements irréguliers des frontières ont eu lieu en 2020, dont 8% par des mineurs et 4% par des mineurs non accompagnés, soit 15 000 enfants au total. Le rapport d’analyse des risques de Frontex de 2021 souligne par ailleurs que la plupart des mineurs proviennent de la route de la Méditerranée orientale – souvent dans le cadre d’unité familiale. Une autre donnée disponible sur Eurostat est la part des mineurs dans les ressortissants de pays tiers trouvés en situation irrégulière dans l’UE. En 2020, ils représentaient 6% soit 33 420 mineurs, dont une grande majorité de garçons de plus de 14 ans. La répartition n’est pas égale au sein de l’UE puisqu’en 2020 11 000 ont été détectés en Allemagne, 6 500 en Grèce, et 4 500 en France. Cependant, mis en perspective par rapport à la population nationale, c’est la Grèce qui est en tête avec 613 mineurs en situation irrégulière par million d’habitants, suivi de Chypre, de la Croatie et de l’Autriche, la France étant en dixième avec 66 mineurs – juste en dessous de la moyenne européenne de 68. Il convient cependant de souligner qu’en droit français, un mineur étranger ne peut être juridiquement considéré comme étant en situation irrégulière, l’exigence de disposer d’un titre de séjour ne s’appliquant qu’aux majeurs. L’irrégularité du séjour est souvent déduite de la situation administrative des parents.

Eurostat fournit également quelques données sur les mineurs en situation irrégulière ayant reçu l’ordre de quitter le territoire de l’UE dans le cadre de la directive européenne Retour y compris pour les mineurs non accompagnés sous certaines conditions dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant – un concept à l’interprétation variable selon les États, certains considérant qu’il n’est pas compatible avec l’éloignement. Les mineurs représentant ainsi 4% des ressortissants de pays tiers ayant reçu l’ordre de quitter le territoire en 2019, et 3% de ceux qui ont quitté l’UE. Plus de 4 000 mineurs ont étaient éloignés de l’UE en 2019 dont 2 500 enfants de moins de 14 ans avec une grande majorité de garçons (65%). En ce qui concerne les nationalités des mineurs ayant reçu l’ordre de quitter le territoire de l’UE, l’Afghanistan arrive en tête, suivi de l’Irak, la Syrie, et l’Algérie. Cette liste diffère pour les pays d’origine vers lesquels les mineurs sont effectivement éloignés avec la Russie, l’Albanie, l’Ukraine et la Géorgie. La note souligne ainsi que si certains États sont plus collaboratifs dans la politique de retour et de réadmission, la situation interne et sécuritaire de certains pays ne permet pas la mise en œuvre des décisions de retour.

En matière de protection internationale, les données sont préoccupantes. En effet, selon l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), 33 millions de mineurs sont en situation de déplacements forcés à la fin de l’année 2020, dont 11,8 millions sont réfugiés et 1,3 sont demandeurs d’asile. L’agence onusienne y ajoute également 2,9 millions de mineurs déplacé internes à cause de désastres naturels. Entre 2005 et 2020, le nombre d’enfants réfugiés sous mandat du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a plus que doublé, et il représente aujourd’hui près de la moitié de la population mondiale de réfugiés. Dans l’UE, les mineurs représentent 31% des primo-demandeurs d’asile en 2020 malgré une baisse importante par rapport à 2019 (de 192 000 à 130 000). Les mineurs non accompagnés représentent quant à eux 10,5% des primo-demandeurs mineurs en 2020, une part en augmentation depuis deux ans mais encore loin des données enregistrées en 2015 (25,5%). Quatre États membres regroupent à eux seuls plus de la moitié des demandes d’asile de mineurs non accompagnés : la Grèce (2 800), l’Allemagne (2 200), l’Autriche (1 400), et la Belgique (1 200). Mis en perspective par rapport à la population nationale, c’est la Slovénie qui arrive en tête, suivie de la Grèce, de Chypre, de l’Autriche, de la Bulgarie, et de la Belgique.

L’ensemble de ces données permet de mieux saisir le phénomène migratoire des mineurs vers l’UE, et ses caractéristiques au regard des normes internationales et européennes de protection envers les enfants. En effet, en tant que population particulièrement vulnérable, ils bénéficient de droits et de garanties notamment dans le cadre du régime d’asile européen commun. D’autres textes législatifs européens prévoient également des dispositions spécifiques pour les mineurs non accompagnés, par exemple la directive relative à la lutte contre la traite des êtres humains, la directive Retour, et la directive relative au droit au regroupement familial. En complément de ce cadre législatif européen, l’UE a développé un cadre politique pour renforcer son action et la collaboration sur la protection des mineurs. Dans la continuité de la stratégie de l’UE sur les droits de l’enfant de 2006 et de l’Agenda de l’UE pour les droits de l’enfant de 2011, le plan d’action pour les mineurs non accompagnés (2010-2014) et la Communication de 2017 sur la protection des enfants migrants tendent à mettre en place des mesures concrètes pour renforcer la protection des mineurs dans le contexte migratoires. La mise en œuvre de cette Communication a notamment été suivie par la publication de deux rapports par le Réseau européen sur la migration en 2021 et en 2022. Par ailleurs, la Commission a plus récemment présenté plusieurs plans d’actions et mesures pour renforcer son action en matière de protection des mineurs migrants tels que la stratégie de l’UE sur les droits des enfants en mars 2021 afin de garantir le respect des droits de l’enfant dans l’ensemble des politiques européennes. Une Garantie européenne pour l’enfance, initiée en 2019 par la Commission et adoptée en juin 2021, a pour objectif de garantir à chaque enfant en Europe menacé par la pauvreté et l’exclusion sociale l’accès à ses droits fondamentaux comme les soins de santé, l’éducation, la nutrition et le logement. La stratégie de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants en juillet 2020 et le plan d’action de l’UE pour l’intégration et l’inclusion 2021-2027 incluent également des mesures prévention et protection contre les crimes et les risques d’exploitation des mineurs, mais aussi en faveur de l’accès à l’éducation, la formation, l’intégration des migrants mineurs.

Malgré cet arsenal législatif et politique, les problématiques restent nombreuses au sein des États membres tant en matière de conditions d’accueil, de système de tutelle, de dispositifs de protection ou d’exposition à des risques d’exploitation. A titre d’exemple, la situation actuelle dans les îles Canaries est préoccupante. Selon la protection de l’enfant du gouvernement canarien, les centres d’accueil pour mineurs ont hébergé 2 819 mineurs non accompagnés en 2021 bien au-delà de leurs capacités, et seuls 208 ont été relocalisés dans les autres régions d’Espagne. Les prochains mineurs arrivant par bateau sur les îles Canaries risquent de rester dans des postes de police ou des centres temporaires pour étrangers ne garantissant pas la protection des enfants. Par ailleurs, le conseil général du pouvoir judiciaire en Espagne a souligné qu’ « il est matériellement impossible de se conformer aux dispositions de la loi en vigueur » en matière d’accueil des mineurs non accompagnés sur les îles Canaries exposant les mineurs à des violations de droits.