Asile, intégration : l’effectivité des droits en question
Les évolutions législatives dans le domaine de l’asile et de l’immigration sont assez largement analysées et commentées, mais qu’en est-il de la mise en œuvre de ce cadre juridique ? Un rapport inter-associatif publié fin 2021 et basé sur un important recensement de terrain, documente de nombreux obstacles dans l’accès aux droits, notamment pour les demandeurs d’asile et les réfugiés.
À la rentrée 2021, un recensement des difficultés rencontrées par les personnes étrangères dans leur accès aux droits a été effectué par plusieurs organisations qui accompagnent ce public (Aurore, La Cimade, Coallia, Fédération des acteurs de la solidarité, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, Groupe SOS, Samu social de Paris, Secours catholique-Caritas France). La démarche ne visait pas à discuter de la pertinence des normes en vigueur, que chaque organisation s’attache par ailleurs à faire évoluer à travers des actions de plaidoyer, mais de s’interroger sur l’effectivité des droits reconnus dans la loi ou les textes réglementaires.
Le rapport inter-associatif publié fin novembre 2021, qui résulte de cette démarche, recense plusieurs difficultés d’accès aux droits qui concernent spécifiquement les demandeurs d’asile et les bénéficiaires d’une protection internationale.
Concernant l’accès au séjour, les associations reconnaissent que le délai d’accès aux guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA) est généralement conforme à la loi, mais elles rappellent la situation problématique de l’Ile-de-France : le passage par une plate-forme téléphonique gérée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) depuis 2018 complique fortement cette étape pour de nombreuses personnes souhaitant solliciter une protection. Pour ceux qui sont passés au GUDA et ont obtenu une attestation de demande d’asile, permettant leur maintien régulier sur le territoire pendant leur demande d’asile, des difficultés ont été constatées pour renouveler ces attestation à la fin de leur période de validité.
Pour les demandeurs d’asile sous procédure Dublin – en référence au règlement européen dit « Dublin 3 » qui permet de déterminer l’État responsable d’une demande d’asile – des problématiques liées à la mise en place des « pôles régionaux Dublin » ont été relevées. Ces pôles visent à centraliser auprès de certaines préfectures le traitement des demandes Dublin, ce qui implique parfois d’importants déplacements pour les demandeurs ne résidant pas dans les départements concernés. Alors que la prise en charge pour se rendre à des convocations devrait être prise en charge par l’État, on constate parfois des défaillances du dispositif (pas de prise en charge ou délivrance tardive des titres de transport).
Depuis 2019, les demandeurs d’asile qui souhaitent par ailleurs solliciter un titre de séjour sont tenus de faire cette demande concomitamment dans un délai de 2 à 3 mois suivant l’enregistrement de leur demande d’asile. Cette demande concomitante pose plusieurs difficultés : des passeports sont parfois demandé au moment du dépôt de la demande de titre de séjour alors que le cadre juridique n’impose pas cela et qu’un demandeur d’asile ne dispose généralement pas de ce document, des personnes placées sous procédure Dublin se voient parfois refuser le dépôt d’un titre de séjour, et en l’absence d’instructions ministérielles précises à ce sujet les pratiques des préfectures pour apprécier une demande hors délai en cas de « circonstances nouvelles » sont très hétérogènes.
Les parents d’enfants protégés rencontrent de grandes difficultés à faire valoir leur droit au séjour, pourtant consacré par la loi. Elles se voient opposer des exigences relatives aux pièces d’identité ou à des documents complémentaires, des récépissés sans autorisation de travail sont parfois délivrés, et de longs délais d’obtention d’un premier rendez-vous et de traitement des dossiers sont signalés à l’instar des demandes de titre de séjour pour d’autres motifs. Ces parents d’enfants réfugiés, qui ne sont pas eux-mêmes bénéficiaires de la protection internationale, rencontrent par ailleurs de nombreux obstacles dans l’accès à leurs droits sociaux documentés dans le rapport inter-associatif.
L’ensemble des bénéficiaires d’une protection internationale peuvent par ailleurs rencontrer des difficultés d’accès aux droits, notamment en raison d’une appréciation inégale de l’attestation familiale provisoire (instaurée en 2018 et visant justement à faciliter les démarches dans l’attente de l’établissement de l’état civil par l’OFPRA).
Pour les demandeurs d’asile, l’application du droit est parfois défaillante en matière d’attribution des conditions matérielles d’accueil (incluant l’allocation pour demandeurs d’asile, et une orientation vers un hébergement dédié selon les situations). Les auteurs du rapport ont constaté des pratiques hétérogènes de la part des directions territoriales de l’OFII en ce qui concerne les décisions de refus et de suspension de ces conditions d’accueil. Une partie est spécialement consacrée aux nombreuses difficultés rencontrées dans le versement de l’allocation pour demandeurs d’asile, susceptibles de placer les demandeurs d’asile dans une situation de grande précarité.
Enfin, le rapport revient sur les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du délai de carence pour l’accès à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile (voir notre article de décembre 2019 à ce sujet). Le délai théorique de trois mois est en pratique bien plus long, en raison de divergences sur le calcul de la date de début du délai et de la durée d’examen des dossiers. Cette mesure représente par ailleurs une entrave dans l’accès à un bilan de santé prévu dans le cahier des charges des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile, et constitue un obstacle dans le dépôt d’une demande concomitante pour soins. Dans l’attente de l’affiliation à l’assurance maladie, les demandeurs d’asile peuvent rencontrer des difficultés pour accéder au dispositif de soins urgents et vitaux auquel ils peuvent normalement prétendre.
Au regard de l’ensemble des difficultés recensées, les auteurs du rapport formulent des propositions autour de trois priorités : appliquer le droit existant, poursuivre les efforts de simplification administrative, et garantir un accès effectif aux services publics ainsi que la qualité du service. Le ministère de l’Intérieur, destinataire du rapport, a reçu les associations début février 2022 pour échanger sur ces constats et proposer quelques pistes d’amélioration. Des mesures concrètes sont désormais attendues pour que les droits consacrés soient appliqués pleinement et de façon harmonisée sur l’ensemble du territoire.