Parmi les vingt décisions annoncées par le Premier ministre le 6 novembre 2019 suite à un comité interministériel sur l’immigration et l’intégration, il a été annoncé que « d’ici la fin de l’année 2019, un décret introduira un délai de carence de trois mois pour l’affiliation des demandeurs d’asile à la protection universelle maladie ». Actuellement, les demandeurs d’asile peuvent être affiliés à la Protection universelle maladie (PUMa) dès la délivrance de leur attestation de demande d’asile en début de procédure.

Dès le débat parlementaire d’octobre 2019, la ministre de la Santé avait indiqué qu’un délai de carence « pourrait se concevoir » en fonction des résultats d’une étude conjointe des inspections générales des finances (IGF) et de l’administration (IGAS) permettant de « confirmer éventuellement l’existence de filières profitant de cette règle » de l’affiliation immédiate à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile. Or ce rapport, publié la veille des annonces gouvernementales, ne permet pas de connaître l’ampleur des filières évoquées. Il indique simplement que « la croissance rapide du nombre des demandes d’asile et notamment en provenance de pays sûrs (…) crée une pression sur le système de santé et pose la question du dévoiement du dispositif de demande d’asile par des étrangers qui souhaiteraient uniquement bénéficier de soins gratuits en France » et mentionne que « des cas de ce type ont été signalés à plusieurs reprises à la mission par des professionnels médicaux hospitaliers ». Ces éléments ne permettent donc pas de savoir à quelle problématique précise répond la décision annoncée, ni de mesurer son impact à l’avenir. Rien n’indique en tous cas qu’elle aura un effet sur le niveau de la demande d’asile en France. 

Le plan gouvernemental prévoit une affiliation des demandeurs d’asile aux seuls soins urgents pendant ces trois mois. Un amendement du gouvernement adopté le 7 novembre 2019 lors de l’examen des crédits Santé du projet de loi de finances 2020 marque d’ailleurs la première étape de cette réforme, ajoutant les demandeurs d’asile aux publics éligibles à ces soins. Cette limitation aux soins urgents pendant les trois premiers mois pourrait cependant s’avérer contraire au droit européen. La directive Accueil exige en effet, dans son article 19, que les Etats doivent également prévoir « le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves » pour tous les demandeurs d’asile dès qu’ils disposent de ce statut. Elle ajoute par ailleurs que pour les demandeurs « ayant des besoins particuliers en matière d’accueil » et donc identifiés comme tels en raison de leur vulnérabilité, les Etats doivent fournir « l’assistance médicale ou autre nécessaire (…) y compris, s’il y a lieu, des soins de santé mentale appropriés ».

Cette mesure pourrait par ailleurs avoir une incidence en termes de santé publique. Le traitement de certaines maladies qui nécessitent d’être prises en charge rapidement pourrait être reporté à un stade plus avancé, avec dans certains cas une aggravation des pathologies entraînant par la suite des soins plus lourds et plus coûteux, et une possible contagion pendant le délai de carence. Dans l’attente de leur affiliation à l’assurance maladie, les demandeurs d’asile se tourneront vers les services d’urgence et les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), deux dispositifs qui connaissent déjà d’importantes difficultés en raison de moyens insuffisants pour faire face aux besoins – ceux des PASS devant cependant être renforcés dans le cadre du plan gouvernemental. D’un point de vue budgétaire, ces situations entraîneront donc des reports de crédits d’un dispositif à un autre, voire une augmentation des dépenses liées à l’urgence, plutôt que de réelles économies pour les finances publiques.

Enfin, la mise en place d’un délai de carence pourrait compliquer, voire rendre impossible, certaines exigences légales qui reposent sur la consultation d’un médecin dans les premiers temps de la demande d’asile. La loi asile-immigration de septembre 2018 a notamment imposé un délai de trois mois suivant l’enregistrement de la demande d’asile pour formuler, en parallèle, une demande de titre de séjour pour soin. Au-delà de ce délai, cette dernière demande pourrait être considérée comme irrecevable sans examen au fond. Or, le dossier exigé pour déposer une telle demande doit comporter un certificat médical, qu’il sera difficile de faire établir pendant le délai de carence en l’absence d’assurance maladie. Par ailleurs, les cahiers des charges des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile prévoient l’organisation d’une visite médicale « dès l’admission », une mission que les gestionnaires de ces lieux ne pourront remplir quand il s’agira d’admettre un demandeur d’asile n’étant pas encore affilié à l’assurance maladie.   

Les impacts de la mise en place d’un délai de carence sont donc multiples. A défaut de faire reculer le gouvernement sur la mesure, ils pourraient cependant être pris en compte dans la rédaction du décret annoncé qui déterminera précisément les contours du dispositif.

 

Photo d'illustration : UNHCR / Corentin Fohlen