L’application toujours incertaine du règlement Dublin
Le règlement européen dit « Dublin », qui fixe les critères permettant de déterminer l’État responsable d’une demande d’asile, prend une place de plus en plus importante dans le système d’asile français. Un tiers des demandeurs d’asile en France étaient placés sous cette procédure, mais le taux de transfert était inférieur à 8%.
Le règlement dit « Dublin », dont la troisième version a été adoptée en 2013 (Dublin III), fixe des critères permettant de déterminer l’État européen responsable d’une demande d’asile. Le plus fréquemment utilisé est celui du pays de première entrée : le demandeur d’asile doit voir sa demande examinée dans le pays européen par lequel il est arrivé.
Ainsi lorsqu’une personne demande l’asile en France, celle-ci va solliciter un autre État en vue d’un transfert lorsqu’un passage par cet État est constaté (à travers le relevé de ses empreintes ou du fait des informations données en préfecture). La demande d’asile n’est donc pas instruite par la France dans un premier temps, mais la personne dispose du statut de demandeur d’asile et des droits qui y sont liés (conditions matérielles d’accueil, droit au maintien sur le territoire) jusqu’au transfert ou l’échec de la procédure.
En 2018, 45 810 demandes d’asile ont été placées sous procédure Dublin lors de l’enregistrement en préfecture, ce qui représente un tiers de l’ensemble des demandes (139 320). Il s’agit d’une augmentation de 10% par rapport à l’année précédente (41 482). Entre 2014 et 2018, le nombre de placements sous procédure Dublin a été multiplié par neuf (+825%) période pendant laquelle le nombre total de premières demandes enregistrées à l’OFPRA a été multiplié par deux. L’application du règlement Dublin, qui prend donc une ampleur de plus en plus conséquente dans le système d’asile, demeure pourtant toujours aussi incertaine.
La base de donnée de l’agence européenne Eurostat nous apprend que les 45 358 requêtes de la France au titre du règlement Dublin ont été principalement adressées à l’Italie (15 428 / 34%), à l’Allemagne (8 694 / 19%) et à l’Espagne (5 309 / 12%). On note par ailleurs que la France continue à adresser des demandes à la Hongrie (859 en 2018) malgré les procédures d’infractions engagées par la Commission européenne envers cet État pour violation des normes relatives à l’asile.
Au total, seules 65% des demandes (29 259) ont été acceptées soit 5 points de moins qu’en 2017. Ces accords ont abouti à 3 533 transferts effectifs, soit 7,8 % seulement de l’ensemble des personnes placées initialement sous procédure Dublin (contre 6,3 % en 2017). Près de la moitié (46%) des transferts ont eu lieu vers l’Italie (1 647). Viennent ensuite l’Allemagne (783 / 22%) et l’Espagne (262 / 7%). Aucun transfert vers la Hongrie n’a été mis en œuvre.
La tendance des années précédentes se confirme à nouveau avec un écart important qui persiste entre le nombre de placements et les transferts réalisés. Les facteurs d’explication sont multiples et le manque de données publiques ne permet cependant pas de les analyser en détail : refus de l’État requis, demandeur en fuite, annulation du transfert par un tribunal… Lorsque la procédure Dublin n’a pas abouti, la France peut redevenir responsable d’une demande au terme de certains délais fixés par le règlement : on parle alors de procédures Dublin « éteintes ».
Près d’un quart (23%) des procédures Dublin enregistrées en 2018 ont été « éteintes » en cours d’année. Le ministère de l’Intérieur indique par ailleurs que 17 030 demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin avant 2018 ont pu voir leur demande examinée par la France en 2018. Ainsi en 2018, 27 510 premières demandes d’asile (mineurs accompagnants inclus) relevant de procédures Dublin « éteintes » au cours de l’année sont entrées dans le champ de compétence de l’OFPRA.
Sur l’ensemble de l’année 2018, 1 837 transferts avaient été réalisés depuis un autre État européen vers la France au titre du règlement Dublin, principalement depuis l’Allemagne (970 / 53%). Les conditions dans lesquelles sont accueillies les personnes transférées depuis un autre État demeurent un sujet de préoccupation. A l’exception de Roissy – Charles de Gaulle, où une permanence bénévole de la Croix-Rouge permet d’orienter les personnes vers la procédure d’asile, aucun accompagnement n’est prévu à l’arrivée dans les autres aéroports. Des demandeurs d’asile parfois hébergés dans un autre pays se retrouvent ainsi soumis aux difficultés d’accès à la procédure en France et au sous-dimensionnement du dispositif national d’accueil qui font d’eux des sans-abris. Prenant acte de cette situation, certains tribunaux étrangers annulent les décisions de transfert vers la France pour certains cas de vulnérabilité, en invoquant ces défaillances du système d’asile français (une décision allemande récente a eu un écho médiatique, mais d’autres décisions similaires avaient été rendues précédemment en Allemagne ou en Belgique).
La France éloigne ainsi davantage de « Dublinés » (3 533) qu’elle n’en reçoit (1 837), mais le nombre de personnes concernées demeure faible au regard des impacts importants produits par l’application de ce règlement. Les demandeurs d’asile dont le transfert n’est pas mis en œuvre voient ainsi l’instruction de leur demande retardée de plusieurs mois au regard des délais prévus par le règlement. Ces délais incitent certains à abandonner leur demande d’asile, alors qu’ils pourraient prétendre à une protection. L’application de ce règlement implique par ailleurs une mobilisation de moyens importants de la part de l’État, pour des résultats limités.