Lors d’une conférence en ligne organisée par Forum réfugiés, le sociologue Olivier Peyroux, a présenté les résultats d’une étude menée auprès des femmes migrantes isolées vivant actuellement à la rue à Paris. Des questions liées à la surreprésentation des femmes ivoiriennes, aux causes de leur départ, aux parcours migratoires ou à leur situation en France ont notamment été abordées.

 

On observe ces deux dernières années une très forte et rapide augmentation du nombre de femmes ivoiriennes arrivées seules en Europe. A la suite des entretiens menés auprès des femmes ivoiriennes vivant seules à la rue à Paris, une conclusion s’impose : le projet migratoire de ces femmes ivoiriennes résulte d’une décision qui leur est propre, elles ne rejoignent pas un mari, elles ne sont pas arrivées non plus par un réseau d’exploitation, ce n’est donc pas une migration subie ni organisée par des hommes. Elles sont dans ce que M. Peyroux nomme une « migration féminine autonome ». Ce phénomène, singulier, préfigure sans doute d’autres migrations féminines de même type.

 

Pour quelles raisons les femmes ivoiriennes en particulier sont-elles sur-représentées dans les populations de femmes migrantes seules, en France ?

Olivier Peyroux explique que les femmes ivoiriennes avaient déjà acquis une certaine autonomie financière dans leur pays et que cela peut expliquer qu’elles sont plus nombreuses que d’autres nationalités à avoir migré de manière autonome. En effet, après avoir présenté le contexte économique global du pays (avec notamment une forte différence de développement économique entre le nord, demeuré pauvre, et le sud, plus riche), Olivier Peyroux explique qu’il y a eu « une augmentation très importante des femmes entrepreneuses en Côte d’Ivoire, sans commune mesure avec ce qui a pu être observé les pays voisins ». Des femmes ont ouvert des petits commerces, ont développé une activité rémunératrice dans le secteur informel pour assurer leur indépendance financière et matérielle. Ce souhait d’émancipation est en décalage avec les normes sociales et morales qui pèsent sur femmes en Côte d’Ivoire, notamment dans le nord très traditionnaliste. Ce hiatus peut expliquer une première phase de migration, à l’intérieur du pays, du nord vers le sud. L’autonomie financière acquise par le travail peut expliquer ensuite un départ, seule, pour l’étranger, lorsque les difficultés économiques d’après la crise du Covid-19 ont mis à mal le petit commerce informel dans lequel elles développaient leur activité. Pour Olivier Peyroux, la migration est un moyen d’accomplir l’émancipation désirée.

 

Pour quelles raisons sont-elles aujourd’hui en France ?

Les femmes qui avaient d’abord migré du nord de la Côte d’Ivoire vers le sud pour échapper aux traditions néfastes (violences faites aux femmes, mariages forcés, excisions des fillettes…) et s’émanciper financièrement par le travail, n’ont pas pu totalement se soustraire aux normes sociales imposées aux femmes. Elles sont alors parties au Maroc ou en Tunisie, où il était possible de travailler sans visa, souvent comme domestiques au service de familles. Mais la crise sanitaire du Covid-19 a fortement détérioré leurs conditions. C’est alors qu’elles ont entrepris de rejoindre l’Europe, par la Méditerranée, et majoritairement la France.

 

Par quels moyens cherchent-elles à se maintenir en France ?

La principale difficulté pour les femmes ivoiriennes qui veulent déposer une demande d’asile en France est d’éviter d’être renvoyées vers l’Italie, le premier pays européen dans lequel la majorité est arrivée, selon la procédure dite Dublin. Elles vont alors tenter de se rendre « invisibles » pendant 18 mois (délai après lequel la procédure Dublin ne s’applique plus lors de la demande d’asile). Lorsqu’elles demandent l’asile, ce sont sur des motifs d’ordre sociétal, dont majoritairement des risques d’excision invoqués lorsqu’elles sont avec leur fille. Il a été observé en outre, lors de l’enquête, une augmentation du nombre de femmes qui tombent enceinte. L’hypothèse est donc émise d’une sorte de « stratégie » de mise en couple et de grossesse dans l’idée d’augmenter les possibilités d’obtention d’une protection sur le motif d’un risque d’excision des petites filles en cas de retour dans le pays d’origine. Une stratégie qui les rend de nouveau vulnérables aux risques de domination et de violence par les hommes.