Russie : des femmes victimes de violence en quête de protection
Parmi les demandeurs d’asile en provenance de Russie, de nombreuses femmes invoquent des violences subies dans le pays et l’absence de protection des autorités vis-à-vis de ces pratiques. Une situation mise en lumière récemment par la Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision du 9 juillet 2019.
Il n’existe aucune définition légale de la violence domestique en Russie. Il est ainsi difficile de connaître sa prévalence réelle dans le pays. Les organisations non gouvernementales (ONG) sur place estiment que 60 à 70% des femmes victimes de violence domestique ne cherchent pas d'aide en raison de la peur, de la honte publique, du manque d'indépendance financière ou du manque de confiance dans les forces de l'ordre.
Dans sa première décision sur la violence domestique en Russie, en faveur de la requérante (Volodina c.Russie, arrêt du 9 juillet 2019), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) souligne « l'incapacité persistante de la Russie à adopter une législation pour lutter contre la violence domestique » et qualifie les dispositions existantes d’« inadéquates pour assurer une protection suffisante à ses victimes ». La Cour souligne que la législation russe n’offre aux victimes de violence domestique aucune mesure de protection et d’éloignement.
En 2017, le chef de l’État Vladimir Poutine a signé une loi dépénalisant les actes de violence domestique qui n'entraînent pas de préjudice physique permanent. Autrement dit, la police n’a pas obligation d’ouvrir une affaire de violence domestique et de mener une enquête. Les cas de plaintes et de poursuites judiciaires des auteurs des violences sont donc rares. Ce sont même souvent les victimes de violences domestiques qui sont arrêtées et emprisonnées dans les cas où elles en finissent par tuer leur agresseur. Selon l’ONG Freedom House, dans son rapport de mars 2020, pas moins de 80% des femmes emprisonnées en Russie peuvent entrer dans cette catégorie. Le cas de trois sœurs victimes des violences répétées et systématiques de leur père qu’elles ont tué après des années d’abus physiques, psychologiques et sexuels illustre à la fois le manque de protection de la part de l’État mais surtout la sévérité des poursuites contre les victimes qui finissent par tuer leur agresseur par désespoir et en légitime défense. Les chefs d'accusation initiaux lors de leur arrestation en 2018 ont été remplacés en juin 2019 par des chefs d'accusation plus graves (meurtre prémédité par un groupe) passibles de 20 ans d'emprisonnement.
En novembre 2019, un projet de loi sur la violence domestique a été déposé au Parlement. Selon l’avis d’Amnesty International dans son rapport sur les droits humains en Russie publié en avril 2020, le projet de dispositions « est loin d’offrir des mesures efficaces de protection des personnes à risque et des survivants ».
En outre, selon le rapport 2019 du département d’État américain sur la situation des droits humains en Russie, les groupes de défense des droits humains s'inquiètent de voir que les "crimes d'honneur" contre les femmes persistent en Tchétchénie, au Daghestan et ailleurs dans la région du Nord-Caucase, et que ceux-ci sont rarement signalés ou reconnus. La police locale, les médecins et les avocats collaborent souvent avec les familles concernées pour dissimuler ces crimes.
L'arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme a donc mis en lumière un phénomène assez ancien, largement étendu et qui devrait persister en l’absence de prise en compte adéquate par les autorités.