Mauritanie : un partenariat avec l’Union européenne suscite des critiques
Les îles Canaries connaissent une augmentation des arrivées de Mauritanie. Dans le but de contrôler cette migration, en mars 2024, l’Union européenne, en soutien à l’Espagne, a signé un partenariat avec le pays africain. Une analyse publiée par le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) en octobre 2024 démontre ses impacts néfastes sur les droits des personnes et pointe l’inefficacité du dispositif.
Motivé par la hausse des arrivées de migrants dans les îles Canaries (Espagne) depuis la Mauritanie, mais aussi par le paysage géopolitique changeant du Sahel, en mars 2024, la Commission européenne et la Mauritanie ont signé un partenariat portant sur la migration sur lequel peu d’informations concrètes sont disponibles pour l’instant. On sait cependant qu’il vise cinq domaines en matière migratoire :
- Des opportunités socio-économiques pour les jeunes afin de faciliter la cohésion sociale ;
- L’asile ;
- La migration légale ;
- La migration irrégulière, le trafic de migrants, la traite des êtres humains, les retours et réadmissions ;
- La gestion et contrôle des frontières
Ce partenariat fait partie du programme de l’UE Global Gateway et concerne également des domaines distincts de la migration.
En octobre 2024, le docteur Hassan Ould Moctar, de l’Université de Londres, a publié, pour le Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE), dont Forum réfugiés est membre, un rapport examinant le contexte politique, sociétal et économique dans lequel la déclaration commune a été faite, discutant ses impacts et fournissant des recommandations.
Le rapport commence par rappeler que la Mauritanie, dont la capitale est Nouakchott, est bordée à l’ouest par 754 km de côtes atlantiques : au sud par le fleuve Sénégal, au nord-ouest et nord-est par le Sahara occidental et l’Algérie, et au sud-est et à l’est par le Mali. Cette situation géographique fait du pays un point de passage pour beaucoup d’exilés se rendant en Europe.
L’auteur souligne que la migration a toujours été une pierre angulaire du développement économique en Mauritanie, car de nombreux secteurs au cours des premières décennies de l’indépendance (de la France en 1960) ont compté sur les travailleurs migrants du Sénégal, du Mali et de la Guinée. De plus, 2012 a été une année de pic de l’immigration, en particulier à l’est du pays, suite à un coup d’état au Mali et aux troubles politiques qui ont suivi. Aujourd’hui, il est estimé qu’environ 100 000 exilés sont présents dans un camp de réfugiés du pays et 80 000 en dehors dudit camp. Le pays ne compte cependant pas de législations en matière d’asile. À l’heure actuelle, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés est responsable de la détermination du statut de réfugié dans le pays, tandis que le gouvernement délivre des documents aux personnes qui ont obtenu le statut.
Les îles Canaries ont commencé à connaître des arrivées de Mauritanie en 2006. L’Espagne avait alors sollicité l’assistance de Frontex. En 2010, alors que les arrivées avaient diminué, l’UE et la Mauritanie ont publié leur première stratégie de gestion de la migration sur le long terme. La Mauritanie a reçu 84 millions d’euros de financement de projets en 2018 et 2019 dans le cadre du fonds européen pour l’Afrique. Ces projets comprennent des initiatives en matière de gestion de la migration et des frontières, des programmes d’emploi et de formation professionnelle pour les jeunes, ainsi qu’un soutien aux programmes régionaux de sécurité. Malgré cela, 40 326 arrivées par la mer depuis la Mauritanie vers les Canaries ont été enregistrées en 2020 (8 000 de plus qu’en 2006 – alors que la tendance globale était à la baisse), un record qui a été dépassé l’année suivante, avec 41 979 arrivées par mer en 2021 puis en 2023, avec 57 071 arrivées. Début 2024, la route atlantique vers les îles Canaries était le passage le plus fréquenté vers l’Europe, avec 12 092 traversées enregistrées en janvier et février, contre 9 150 sur la Méditerranée orientale, la deuxième route la plus fréquentée de cette période.
Hassan Ould Moctar identifie plusieurs impacts du partenariat UE-Mauritanie signé en mars 2024.
Dans les mois qui ont suivi la signature, des campagnes de police et de renvoi ont augmenté, et les garde-côtes ont augmenté les patrouilles sur la côte, avec le soutien de la surveillance aérienne de la Guardia Civil espagnole. Les conditions d’éloignement demeurent mauvaises : les personnes en situation irrégulière sont souvent détenues dans des conditions de surpeuplement et d’insalubrité avant d’être renvoyées, sans accès à des conseils juridiques ou des organisations internationales. Il existe aussi des cas documentés d’individus abandonnés à la frontière du désert Mali-Mauritanie.
En l’absence de voies légales proportionnées à l’ampleur des arrivées, les mouvements non autorisés se poursuivront et le prix demandé par les passeurs pourrait simplement changer en réponse à l’augmentation du dispositif de surveillance.
Si le programme de migration circulaire (séjours temporaires) récemment annoncé en Mauritanie peut apporter quelques changements, le fait qu’il soit offert aux ressortissants mauritaniens n’empêchera pas la majorité des personnes qui quittent la Mauritanie pour l’Europe de le faire, car ils sont principalement ressortissants d’autres États d’Afrique de l’Ouest.
En outre, le partenariat peut aussi être dangereux pour la cohésion sociale, les exilés se mélangeant aux communautés les plus pauvres, les contrôles de police accrus toucheront également des Mauritaniens qui ne sont pas en déplacement.
Par ailleurs, comme cela a été documenté dans d’autres contextes, « le désir politique de prévenir les migrations indésirables crée des structures d’incitation perverses, par lesquelles les autorités d'« envoi » et de transit » pourraient avoir un intérêt dans la poursuite des migrations afin d’accroître leur effet de levier et leur pouvoir de négociation avec les États européens » dans des domaines variés.
Dr. Ould Moctar recommande par conséquent à l’UE de créer des voies légales pour les non-mauritaniens, de faire des opérations de recherche et de sauvetage une priorité absolue, et de rappeler à son partenaire l’importance du respect des droits de l’homme pour la continuité du partenariat. Il affirme également que la mise en œuvre des projets de développement devrait être indépendante des préoccupations liées à la migration.