Apatridie : la campagne pour mettre fin à l’apatridie d’ici 2024 à mi-parcours
Dans le cadre de sa campagne internationale visant à mettre fin à l’apatridie d’ici 2024, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a organisé le 7 octobre une réunion sur l’apatridie à Genève. Cette rencontre avait pour objectif d’évaluer les réalisations conduites à mi-parcours de cette campagne, de présenter les bonnes pratiques et d’encourager les Etats et autres parties à prendre des mesures pour lutter contre l’apatridie au cours des cinq années restantes de la campagne.
L’apatridie désigne une personne qu’aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation et qui touche, selon le HCR, plus de 600 000 personnes en Europe et plus de 10 millions de personnes dans le monde, dont un tiers sont des enfants. Marginalisés, victimes de discriminations et exposées à une grande précarité, ils se voient refuser des droits les plus fondamentaux comme le droit d’aller à l’école, de travailler, de se marier, de déclarer la naissance d’un enfant ; plus largement, le droit à une existence légale.
La campagne internationale du HCR représente une opportunité historique de lutter contre l’apatridie et de renforcer la protection des apatridies. Engagé depuis 2012 dans le Réseau européen sur l’apatridie (ENS), Forum réfugiés-Cosi a pu assister en octobre 2019 aux débats et à une conférence organisée par l’ENS en marge de la réunion de haut-niveau organisée par le HCR à Genève, qui a valorisé le travail réalisé par la société civile en faveur des apatrides. La distinction Nansen 2019 pour les réfugiés a été décernée à un avocat kirghize, Azizbek Ashurov, qui s’engage depuis plus de 10 ans à défendre les droits de plus de 10 000 apatrides au Kirghizstan. Suite à l’éclatement de l’Union soviétique dans les années 1990, l’apatridie est devenue une problématique majeure dans les pays de l’Europe de l’est et de l’Asie centrale. Azizbek Ashurov dirige l’association Avocats sans Frontières de la Vallée Ferghana créée en 2003 pour apporter une aide juridique gratuite. A partir de 2007, il s’engage dans la lutte contre l’apatridie, et développe en 2014 des cliniques juridiques mobiles et une cartographie de la problématique grâce à un soutien financier du HCR. A l’occasion de cet évènement, Forum réfugiés-Cosi a également appelé la France à soutenir cette campagne internationale en ratifiant la Convention internationale de réduction de cas d’apatridie de 1961. Le soutien de la France est primordial et aurait envoyé un signal fort à la communauté internationale pour engager d’autres Etats dans la résolution de situations graves d’apatridie et enrayer l’apparition de nouveaux cas à travers le monde, y compris en Europe. Cette ratification pourrait permettre de réaffirmer l’engagement historique du pays dans la protection des apatrides,
La France a en effet été l’un des premiers Etats à mettre en place une procédure de détermination du statut d’apatride, en 1952, avant même la Convention internationale relative à la protection des apatrides de 1954. C’est l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) qui est charge de déterminer le statut d’apatridie. Dans son rapport annuel 2018, il indique que 420 nouvelles demandes ont été déposées, soit une hausse de 23% par rapport à 2017, poursuivant ainsi la hausse constante depuis 2012, au total de 158%. 41% des demandes ont été déposées par des personnes originaires du continent africain, 35% d’Europe, et 24% d’Asie. Le groupe le plus important sont les Sahraouis avec 31% dont la demande a doublé par rapport à 2017 et a été multipliée par 13 depuis 2014. Nombre d’entre eux vivent légalement en Espagne sur la base d’un statut d’apatride. Les personnes originaires de l’ex-URSS représentent le second groupe le plus important dans les demandes (13%), incluant des personnes d’origine arménienne dont la demande d’asile a été rejetée, disant provenir d’Azerbaïdjan et avoir vécu plusieurs années en Fédération de Russie. Le troisième groupe sont les Bidouns du Koweït (11%) dont la demande a triplé depuis 2017. La moitié des demandes d’apatridie proviennent par ailleurs des régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (55%). En 2018, 327 décisions ont été émises par l’OFPRA, dont 71 positives maintenant le taux de reconnaissance à 22%. 122 adultes ayant déposé une demande de protection internationale se sont vus attribués le statut de « réfugié-apatride », chiffre en légère hausse dus aux réfugiés palestiniens et kurdes venus de Syrie qui recherchent une protection en France. Au 31 décembre 2019, 1 493 apatrides (34% de femmes) étaient sous la protection de l’OFPRA.
Parmi les récentes évolutions positives, il faut noter l’augmentation de la durée du permis de résidence accordé aux bénéficiaires d’un statut d’apatride, d’un an à quatre ans, lors de la dernière réforme de septembre 2018. Si cette évolution pérennise la protection des apatrides en France, de nombreuses lacunes sont encore à relever. Les demandeurs ne disposent en effet d’aucun droit durant la procédure, à la différence des demandeurs d’asile. Ils n’ont pas l’autorisation de rester sur le territoire et sont donc sujets à des mesures d’éloignement durant la procédure. Ils n’ont pas accès aux aides sociales, le droit d’appel est non suspensif, et aucun délai de procédures n’est établi. L’aide légale est également limitée. Ainsi, les personnes susceptibles d’être apatrides priorisent la demande d’asile à la demande d’apatridie, car elle procure une plus grande sécurité et un meilleur accès aux droits durant la procédure.
En outre, l’apatridie reste une problématique encore très méconnue et mal évaluée par les politiques publiques. Le manque de données figure comme un obstacle majeur à la protection des apatrides et à sa prévention. En France, les statistiques officielles se basent sur les données publiées par l’OFPRA et sur quelques données limitées de l’acquisition de nationalité par les apatridies. Mais l’apatridie n’est pas inclue dans le recensement, et il n’existe aucune donnée officielle sur les apatrides en rétention. Une étude nationale sur l’apatridie en France permettrait de mieux évaluer l’ampleur de la problématique et les lacunes du système français pour identifier et protéger les personnes en situation d’apatridie, et prévenir l’apparition de nouveaux cas. L’enjeu de l’enregistrement des naissances au sein des populations exposées au risque d’apatridie notamment au sein de demandeurs d’asile pourrait être mieux évalué. Cette problématique est notamment en cours d’étude par le projet Stateless Journeys de l’ENS.