Les persécutions contre les journalistes en hausse pendant la crise sanitaire
La répression de la liberté d’information est accentuée pendant la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, et notamment dans les pays foyers de l’épidémie (Chine, Iran) qui ont mis en place des dispositifs de censure massifs. Plusieurs organisations s’alarment des agressions et des arrestations des journalistes couvrant la pandémie.
« La pandémie de Covid-19 met en lumière et amplifie les crises multiples qui menacent le droit à une information libre, indépendante, pluraliste et fiable ». C’est ainsi que l’organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontières introduit l’édition 2020 de son classement mondial de la liberté de la presse publiée le 21 avril 2020.
Avant le début de la crise, l’enquête annuelle du CPJ (Comittee to protect journalists) parue en décembre 2019 indiquait qu’au moins 250 journalistes étaient emprisonnés dans le monde. La Chine, la Turquie, l'Arabie Saoudite et l'Égypte sont les pires geôliers, suivis de l’Erythrée, du Vietnam, et de l’Iran. Les journalistes emprisonnés sont généralement accusés « d’agissements contre l’État » et de diffusion de fausses informations. Un autre rapport du CPJ indique que 25 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction en 2019.
En Chine, le nombre de journalistes emprisonnés augmente d’année en année. Des journalistes ont été arrêtés en 2019 par exemple dans la province de Xinjiang (où un million de membres de groupes ethniques musulmans ont été envoyés dans des camps d'internement). D’autres ont été arrêtés pour avoir couvert les manifestations à Hong-Kong. Si la Turquie compte moins de journalistes en prison par rapport aux années précédentes cela est dû au fait que le gouvernement d’Erdogan a su museler complètement les médias, notamment en fermant des dizaines d’organes de presse, en contrôlant l’industrie et en menaçant les journalistes. Ces derniers s’exilent ou s’auto-censurent. D’autres sont encore dans l’attente d’un procès, accusés de crimes depuis le coup d'État manqué en 2016. En Arabie Saoudite, des cas de torture sur des journalistes ont été signalés. Les arrestations en Egypte sont marquées par des irrégularités de procédure et des violences.
Les ONG relèvent aujourd’hui des cas de journalistes agressés ou arrêtés pour avoir diffusé des informations sur la pandémie de coronavirus ou avoir enquêté et commenté des mesures prises contre le Covid-19. Le 2 avril, huit journalistes ont été battus par plusieurs hommes non-identifiés à l’Office national d’identification d’Haïti alors qu’ils enquêtaient sur le non-respect des mesures de sécurité sanitaires dans les conditions d’accueil au sein de cet organisme. En République démocratique du Congo, un journaliste en reportage sur le respect des mesures de confinement liées au coronavirus a été agressé par des policiers. Des mêmes faits de violences policières contre des journalistes ont été constatés en Ouganda, au Sénégal, au Kenya. Deux journalistes ivoiriens ont été condamnés à verser une amende pour « diffusion de fausses nouvelles » pour avoir révélé des cas de Covid dans une prison d’Abidjan. Dans un communiqué du 26 mars 2020 Amnesty international rapporte que quatre Egyptiennes ont été arrêtées par les services de sécurité devant le siège du gouvernement au Caire. Elles ont été accusées d’« incitation à manifester », de « diffusion de fausses informations » et de « possession de documents diffusant de fausses informations ».
Des journalistes iraniens (présentateurs de télévision, des directeurs de chaines d’informations) ont été arrêtés pour avoir posté des vidéos sur internet ou des tweets mettant en cause le gouvernement dans sa gestion de la pandémie. En outre, avec la propagation du Covid-19 en Iran et notamment dans les centres de détention, la situation des prisonniers est devenue critique. Plusieurs journalistes sont malades et privés de soin. En Egypte aussi les ONG comme Amnesty international et la Croix-Rouge s’alarment des conditions de détention alors que les populations carcérales sont particulièrement exposées aux maladies infectieuses et que le risque de transmission est élevé.
En Europe, un journaliste biélorusse a été inculpé de corruption et risque dix ans de prison pour avoir critiqué le gouvernement et remis en cause les chiffres officiels sur l’épidémie. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a fait voter une loi dite “coronavirus” qui prévoit des peines allant jusqu’à cinq ans de prison pour la diffusion de fausses informations. Au Brésil, le Président Bolsonaro s’attèle à décrédibiliser complètement le travail de la presse en dénigrant et attaquant systématiquement les journalistes.
“Nous entrons dans une décennie décisive pour le journalisme, liée à des crises concomitantes qui affectent l’avenir du journalisme », a déclaré le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. En parallèle de la publication du classement mondial de la liberté de la presse, RSF a lancé le 31 mars son « Observatoire 19 », un outil de suivi dont l’objectif est d’évaluer les impacts de la pandémie sur le journalisme.