Nigéria : des demandes d’asile aux dynamiques complexes
Le Nigéria fait face à de nombreux défis sécuritaires et des violations des droits humains y sont régulièrement constatées, un contexte qui génère d’importants déplacements de population. Afin de mieux cerner la complexité de la demande d’asile nigériane, Corentin Cohen, chercheur, et Elodie Journeau, avocate, ont partagé leurs analyses et observations lors d’une conférence organisée par Forum réfugiés-Cosi en mars 2021.
Trois grands foyers d’insécurité qui provoquent de nombreux déplacements au Nigéria : le quart Nord-Est est sous le contrôle depuis plus de dix ans du groupe extrémiste ultra-violent Boko Haram qui impose une charia rigoriste et sème la terreur. Plus de trois millions de personnes ont fui la région pour se réfugier principalement dans les pays voisins. La région du « Middle Belt » connait depuis environ 5 ans de violents affrontements entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades Peuls, qui se disputent l’accès à la terre, sur fond de changements climatiques et de tensions ethniques. Enfin le Delta du Niger est en proie à des conflits entre l’armée nationale et divers groupes armés qui revendiquent une part des revenus du pétrole présent dans la région. Il faut ajouter à ce tableau une paupérisation croissante que connait le Nigéria dans son ensemble, due à la baisse des revenus du pétrole et à la pandémie de Covid. Avec un taux de chômage élevé chez les jeunes, une inflation très forte sur les denrées de base, des violences dans la société, les projets migratoires se multiplient.
En France, on observe effectivement une augmentation des demandes d’asile en provenance du Nigéria et également un fort rajeunissement de ces demandeurs d’asile. Les demandes de protection fondées sur les risques liés à Boko Haram ou aux situations de conflits intercommunautaires sont plutôt minimes. Les demandeurs invoquent davantage des problématiques sociétales comme la traite des êtres humains, l’orientation sexuelle ou les mutilations génitales féminines. La moitié des demandes d’asile proviennent de femmes avec notamment une forte demande de femmes victimes de traite.
La traite nigériane est traditionnellement décrite autour de 3 figures : la victime, qui, si elle est consciente d’être recrutée pour de l’exploitation sexuelle en Europe, n’a pas conscience des conditions réelles qui l’attendent, puis la « Madam », proxénète mais qui peut endosser d’autres fonctions dans le réseau, et enfin le chef spirituel de la cérémonie « Juju », devant lequel la victime prête serment et par là s’engage contractuellement à rembourser sa dette.
Il existe un phénomène que les instances d’asile nomment « l’instrumentalisation de la demande par les réseaux ». Ainsi, pour parer à cette instrumentalisation, le Conseil d’État, dans une décision de 2019, exige désormais que la victime fournisse des preuves qu’elle est sortie du réseau. Elodie Journeau a témoigné sur l’aide apportée par les associations et travailleurs sociaux pour fournir des éléments prouvant que la jeune femme s’est éloignée du réseau (recherche de logement, éloignement de la communauté…).
Les analyses des données migratoires se sont longtemps focalisées sur les femmes victimes de traite. Il existe très peu d’analyse sur les hommes nigérians qui migrent et arrivent en Europe. Ils sont pourtant de plus en plus nombreux et on s’interroge sur leur profil, sur leur capacité à financer leur voyage et sur leur rôle dans les réseaux de traite. D’après les observations d’Elodie Journeau, des hommes isolés peuvent invoquer comme motifs de protection des risques de persécutions pour avoir refusé d’intégrer une confrérie (des sociétés secrètes appelées abusivement « groupes cultistes ») ou de s’en être extrait. Ces confréries étudiantes, nées à l’origine sur les campus nigérians, ont pris une tournure mafieuse et sont apparentées aujourd’hui à des gangs criminels, avec parfois une dimension spirituelle, à ne pas confondre cependant avec les sectes nigérianes. Selon les recherches de Corentin Cohen, les jeunes hommes partent seuls du Nigéria, généralement en passant par le Niger et la Libye avant d’atteindre l’Europe. Ils financent leurs voyages par petits bouts, en travaillant souvent illégalement, parfois en étant exploités. Ils rejoignent alors des confréries pour bénéficier d’un réseau et sont alors appelés à prendre part aux activités de traite sur le parcours ou une fois en Europe.
Ces liens entre confraternités et réseaux de traite demeurent une zone grise dans laquelle on peut observer des phénomènes de compétition mais également des alliances par formation de couples pour sortir du réseau.