Tandis que l’évolution du nombre de demandes de protection internationale suit habituellement la hausse du nombre de personnes déplacées à l’échelle mondiale, le printemps 2020 a amorcé un changement de conjoncture avec une baisse inédite des demandes d’asile, malgré une hausse des déplacements forcés dans le monde qui se poursuit. Les besoins de protection ont augmenté du fait de la crise sanitaire, mais le nombre d’arrivées a significativement baissé, notamment en Europe. L’étude de l’impact de la crise sanitaire sur les mobilités forcées et sur le parcours migratoire permet de poser des esquisses d’explication à ce fossé inhabituel, notamment par les blocages et les risques accrus sur le parcours migratoire qui rendent la recherche d’une protection d’autant plus périlleuse.

Les conséquences de la crise sanitaire sont venues multiplier les facteurs de risque et exacerber les vulnérabilités et l’exposition des personnes à ces dangers sur le parcours migratoire, comme le démontre un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les restrictions à la mobilité mises en place, tant à l’échelle interne aux États qu’à l’échelle régionale et internationale, ont mené à une baisse drastique des flux mondiaux. Cependant, le nombre des déplacements forcés dans le monde n’a pas connu un tel infléchissement, malgré les restrictions liées dues à la crise sanitaire. Cette continuité s’explique notamment par le fait que les raisons qui poussent au départ ne se sont pas éteintes et se sont au contraire accrues, notamment en raison de l’instabilité économique, politique et alimentaire engendrée par la Covid-19. Cependant, des difficultés se manifestent dans l’exercice de cette mobilité.

Tout d’abord, un raccourcissement des distances parcourues et des entraves à la mobilité peuvent être constatées. Des blocages aux frontières ont par exemple été observés pour une partie de la population Rohingyas, bloquée sur des embarcations dans le golfe du Bengale, tentant de rejoindre les pays environnants. Outre les restrictions aux frontières, la précarisation économique des personnes due à la Covid-19 est un second facteur favorisant cette impossibilité de migrer, d’après un rapport du Mixed Migration Centre. Ensuite, les routes migratoires illégales sont d’autant plus invisibilisées et marginalisées. Tout d’abord, la mise à l’arrêt des voies aériennes a mené à l’intensification de l’usage des voies terrestres et maritimes, ainsi qu’au développement de nouvelles voies et de nouveaux moyens de migrer. De nouvelles routes ont été découvertes par les réseaux de passeurs afin de contourner les restrictions et présentent alors d’autant plus de dangers. La mortalité due à la réémergence de la route de l’Atlantique qui part de l’Afrique de l’Ouest vers les îles Canaries en est un exemple révélateur (voir notre article d’avril 2021 à ce sujet).

La crise sanitaire n’a pas seulement impacté les itinéraires en tant que tels, mais également les moyens utilisés pour migrer. Les intermédiaires informels occupent un rôle accru afin de faciliter le trajet, ce qui a pour conséquence d’augmenter les risques, les dangers et la vulnérabilité des personnes déplacées. Ainsi, bien que les flux migratoires forcés persistent en temps de pandémie, ils ne se font pas dans les mêmes conditions, ni au même prix. La vulnérabilité et la dangerosité sur le parcours migratoire s’accroissent du fait d’une précarisation des personnes et d’une plus grande dépendance à l’égard des réseaux clandestins. Outre la baisse des options de voies de migration, cette dépendance accrue à l’égard des réseaux de passeurs est également due à la difficulté d’avoir accès à une information fiable et exhaustive concernant les évolutions rapides des routes migratoires en temps de pandémie. Cette dépendance est un facteur qui surexpose les personnes déplacées à l’exploitation, à l’abus et à la traite des êtres humains, selon un rapport de l’OIM. L’ensemble de ces difficultés et blocages permet alors d’expliquer la baisse des arrivées et des demandes d’asile, notamment en Europe.